NOUS AVONS hésité avant d’apporter notre commentaire au foisonnement de déclarations éplorées sur le sort tragique d’Haïti. Ce n’est pas par manque de compassion, mais à cause du sentiment que, en dehors de l’appel indispensable à la solidarité et à la contribution personnelle de chacun d’entre nous au soulagement des Haïtiens, nous manquons de mots, et même de choses rationnelles à dire. Nous ne ferons pas non plus preuve d’originalité si nous rappelons que, sur cette île douloureuse, l’escalavage a précédé le colonialisme qui a lui-même précédé la dictature. C’est-à-dire que les Haïtiens n’ont jamais eu, en deux siècles, le moindre répit et que même la stabilisation du régime politique de l’île ne l’avait pas arrachée, avant le séisme, à la misère. Haïti, c’est la pauvreté en temps qu’enfer sur terre, l’illettrisme, la distance grotesque entre la richesse d’un tout petit nombre et le dénuement total de tous les autres. C’est aussi la faillite de ses gouvernements, autoritaires ou démocratiques, et encore plus celle de l’ONU et du monde, de la France et de l’Amérique, qui n’ont jamais réussi à donner aux Haïtiens un semblant de confort. Rien n’a été utile, ni l’argent, ni la force onusienne, ni la sollicitude de la France, ni les moyens américains. Parler de tout cela à la suite du heurt de deux plaques tectoniques qui ont balayé un pays en n’y laissant plus rien qui fonctionne, c’est presque bête.
On peut néanmoins constater que si le monde avait accordé dans le passé plus d’attention à ce pays paria, il aurait peut-être empêché que le peuple haïtien fût livré aux tontons macoutes et aux dictateurs, les Duvalier, puis Aristide, qui ne valait guère mieux que ses prédécesseurs. La décomposition du pays est d’autant plus scandaleuse qu’il fut le premier, dans les Caraïbes, a obtenir son indépendance après que la Convention française eut enfin admis que l’esclavage en Haïti était insupportable par rapport aux valeurs de la révolution. Il y a deux cents ans, les Haïtiens ont su prendre leur sort en main, quand a éclaté la révolte des esclaves (1804). Après, les Européens, puis les Américains (qui ont occupé l’île de 1915 à 1934) ont compris que l’exploitation économique ne passait forcément par la colonisation.
La responsabilité de la misère haïtienne est donc partagée entre les Haïtiens et ceux qui avaient des intérêts économiques dans l’île. Au joug colonial, puis à la dictature, s’est ajouté l’acharnement des éléments : il suffit de rappeler qu’Haïti a été ravagée en 2008 par quatre cyclones successifs. De sorte qu’entre malheur politique et malheur naturel, les Haïtiens n’ont jamais pu trouver le temps pour se préparer au terrible séisme du 12 janvier, que les spécialistes jugeaient inéluctable : quand toute votre énergie (54 % de la population vit dans une misère abjecte) est consacrée à la seule survie physique, vous ne vous concentrez pas sur des constructions antisismiques. Cyclones, tornades, ouragans et tremblements de terre ont ceci de particulier qu’ils frappent distinctement les riches et les pauvres. Katrina, à la Nouvelle-Orléans, a entraîné un scandale politique parce que personne ne pouvait imaginer que les services publics et le gouvernement américain fussent aussi incompétents dans la gestion du désastre. Mais le déversement de fonds sans compter a fini par alléger les souffrances des habitants.
Une longue souffrance.
Les Haïtiens ne pourront pas en dire autant. Le nombre de morts, de blessés et de disparus sera plus élevé parce que les infrastructures n’ont pas résisté au séisme et qu’il n’y a jamais eu, à Port-au-Prince, de ressources pour faire face à une catastrophe. Des gens mourront non du tremblement de terre, mais de ses conséquences, du manque de soins, d’eau, de nourriture et, si les secours tardent, d’une épidémie. La misère spécifique d’Haïti, que ne partage pas l’autre moitié de l’île, Saint-Domingue, va aggraver durablement une souffrance nationale qui va durer des mois, sinon des années.
On voudrait que le monde entier se mobilise, que cet argent que les banques savent perdre en un tournemain, on puisse le donner aux Haïtiens, que, dans un drame aussi épouvantable, se produise un phénomène de solidarité à sa mesure. Et puis, on sait combien les gens dits nantis sont sollicités en permanence, on sait que ceux qui donnent ne sont pas du tout les plus riches, on sait combien de compassion les braves gens sont capables de nourrir, jusqu’au moment où la compassion elle-même, sans cesse réclamée, lasse les plus généreux d’entre nous. C’est, là encore, une affaire de gouvernements. C’est l’Europe, c’est l’Amérique qui doivent agir. C’est le monde qui doit s’indigner et compâtir. C’est nous tous, collectivement, qui devons refuser le malheur indescriptible qui vient d’être infligé à des êtres humains, à nos semblables.
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