NOUS N’AURIONS pas commenté cette nouvelle et énième polémique si nous n’y avions retrouvé les ingrédients décidément empoisonnés du nouveau débat politique. Un mot de trop, une idée absurde, un gouvernement qui ne sait plus à quel saint se vouer. Marie N’Diaye n’était pas prix Goncourt quand elle a prononcé l’adjectif que M. Raoult lui reproche et dont elle serait convenue un peu plus tard qu’il était « excessif ». Le devoir de réserve n’est applicable qu’aux ministres et aux fonctionnaires, et surtout pas aux écrivains ou aux journalistes parce que c’en serait fini de la liberté d’expresion. Mme N’Diaye peut dire ce qu’elle veut, quand elle veut et ne peut être limitée en l’occurrence que par son sens de la responsabilité. Elle a mis au défi le ministre de la Culture de la blâmer. Il s’est refusé à le faire. M. Raoult sort d’autant moins grandi de cette affaire qu’il s’est jeté la tête la première dans la provocation de l’écrivaine. Il souhaite calmer son ressentiment en rapprochant les institutions françaises de la manière dont Mme N’Diaye les décrit. Il lui donne, pratiquement, une justification a posteriori, même s’il a fini par renoncer à poursuivre l’écrivaine par ministre interposé.
Bien entendu, seuls les lecteurs des « Inrockuptibles » étaient au courant. M. Raoult a fait connaître à la France entière ce que savaient quelque happy few qui n’avaient pas jugé utile de donner aux propos de Mme N’Diaye le retentissement que leur accorde, avec l’aide d’Internet, le député-maire du Raincy (Seine-Saint-Denis). Le réflexe malsain, quand on n’est pas d’accord, c’est de sanctionner, alors qu’il suffit de riposter. M. Raoult n’a pas échappé à ce réflexe. En revanche, la liberté sans exception dont jouit Mme N’Diaye ne lui est pas personnellement réservée. Elle la partage avec 63 millions de Français qui sont aussi libres qu’elle de s’exprimer et dont une partie est assez fâchée de ce qu’elle dit pour lui porter la contradiction. C’est à cet exercice que nous souhaitons contribuer.
Marie N’Diaye est sûrement une écrivaine de qualité : pour obtenir le Goncourt cette année, il fallait battre quelques auteurs bien inspirés. Tout le monde s’accorde pour dire que la saison littéraire a été excellente. Il nous semble cependant que la profondeur du talent n’est pas exclusive d’un mauvais jugement. C’est devenu une habitude d’interroger les écrivains et les artistes sur des sujets pour lesquels, n’étant pas préparés à la dialectique très particulière de l’interview politique, ils risquent de faire des commentaires hâtifs. On souhaite tellement ne pas dire du mal de cet auteur remarquable qu’on serait prêt à lui accorder l’excuse d’une étourderie ou de la précipitation. Hélas, elle a persisté et signé dans une déclaration qui évoque le sort réservé aux immigrés clandestins.
Mauvaise question.
Dès lors qu’elle le maintient, le mot monstrueux est intolérable. Interrogé par une radio, l’académicien Goncourt Patrick Rambaud a déclaré qu’il n’était pas loin de penser comme Marie N’Diaye, mais qu’il aurait préféré le mot « bouffonne » pour décrire la France de Sarkozy. Avant de commenter les réponses, on pourrait s’interroger sur la qualité de la question. Il n’y a pas de France de Sarkozy. La France n’est pas décrite par son seul président ou par son gouvernement mais par l’ensemble des forces qui la composent ou la déchirent. La France du temps de Sarkozy, c’est surtout une opposition déchaînée contre lui, des syndicats revendicatifs, des grèves et des manifestations quotidiennes, de la diversité, du changement et des inquiétudes, mais aussi une joie de vivre que partagent beaucoup de nos concitoyens, sinon tous. Cette France-là est-elle monstrueuse ? Et si elle l’est, quel mot Mme N’Diaye emploierait pour définir l’Allemagne nazie, la Russie de Staline, l’Iran d’Ahmadinejad ou la Birmanie des généraux? Si grande que soit sa maîtrise du vocabulaire, elle se trouverait à court de mots. Elle ne disposerait plus que d’épithètes bien faibles pour rendre compte du totalitarisme.
Faut-il l’absoudre parce qu’elle appartient à l’élite intellectuelle et qu’elle ne doit qu’à elle-même son statut ? Non, parce qu’elle a jeté son pavé, puis l’a retiré, et l’a lancé de nouveau avec la même désinvolture, sans paraître se rendre compte que c’est de la France monstrueuse de Sarkozy qu’elle retire une notoriété exceptionnelle, que c’est dans la langue de la France monstrueuse de Sarkozy qu’elle s’exprime si bien, et que, enfin, c’est grâce aux libertés impérissables que dispense la France monstrueuse de Sarkozy qu’elle peut prononcer des énormités. Voilà probablement ce qu’Éric Raoult a ressenti quand a lu ou été informé du propos de Marie N’Diaye. Voilà, hélas, ce qu’il n’a su dire que trop tard et qui eût suffi comme mise au point.
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