MONSIEUR LECLERC dépense des sommes extravagantes dans les médias et les journaux nationaux, pour nous informer que, chez lui, il vendait moins cher les médicaments pouvant être délivrés sans ordonnance ; quelle louable ambition ! Possible, sans doute. Mais voyons un peu plus loin.
Le pharmacien, avec un chiffre d’affaires presque uniquement (80 % environ) réalisé avec une activité spécifique où les prix sont fixés, doit rémunérer des collaborateurs qualifiés, et s’assurer un revenu compatible avec ses études et ses responsabilités; cela va l’obliger inéluctablement à prendre une marge plus importante sur les articles dont il a la possibilité de fixer les prix, qu’une grande surface faisant d’énormes recettes, avec un fonctionnement en libre-service, assurant la commercialisation d’une multitude d’articles divers, allant de l’alimentaire, du vêtement aux appareils ménagers et électroniques. Tout cela, peut-on ajouter, réalisé avec une très faible incidence salariale ; sur ce plan, le détaillant spécifique, le pharmacien par exemple, sera toujours en situation d’infériorité.
Par ailleurs, les prix de vente, qui sont établis avec un multiplicateur appliqué sur le prix d’achat, donnent des résultats évidemment différents selon la valeur de ce prix de base. Sur ce plan les grandes surfaces seront toujours imbattables par rapport au commerce de détail ! Les quantités achetées par une pharmacie ne pourront jamais se comparer avec celles d’une enseigne de grande distribution. Cela explique d’ailleurs, la discordance entre pharmacies sur ces prix libres, qui est la plupart du temps le résultat de la différence de leur capacité d’achat.
Une analyse plus poussée fait apparaître aussi que ces avantages, qui pourraient être obtenus sur les prix, cachent aussi quelques sérieux dangers et inconvénients. Ils entraîneraient inéluctablement un préjudice financier et d’emplois pour la profession pharmaceutique. Cela, M. Leclerc s’en moque complètement et il pense avoir dans sa démarche une partie de l’opinion. Sauf que, pour soigner une petite blessure, soulager une migraine, une douleur dentaire, une irritation oculaire, atténuer les effets d’une malencontreuse piqûre d’insecte, faire face dans l’urgence à une indisposition intestinale, un mal de gorge ou un enrouement avant une conférence (l’énumération peut être encore très longue), toutes situations où il faut trouver « remède » avec le maximum de rapidité et de commodité, ce ne sont pas les centres du champion des prix bas qui apporteraient la solution.
Comme on ne stocke pas les médicaments comme la lessive, la moutarde ou le Sopalin, il serait vraiment très pratique pour palier un besoin pressant d’aller dans un supermarché n’existant que dans quelques grandes villes, d’accès tout aussi délicat pour les ruraux étant donné l’éloignement, que pour les citadins étant donné une installation toujours excentrée. Le service de proximité assuré dans le domaine de la santé par les milliers de pharmacies réparties sur le territoire constitue un atout extrêmement précieux pour ce qui est de la qualité de la vie à laquelle chacun d’entre nous est particulièrement attaché.
M. Leclerc, le chevalier blanc de la défense du pouvoir d’achat, avance même dans ses « pubs » que les Français ne peuvent plus se soigner tellement les prix sont élevés chez ces professionnels de la santé. Dans son discours il utilise quand même le terme « se soigner » et… comment se soigne-t-on ? Avec des… médicaments, dosés au poids médicinal qui sont le paracétamol, l’ibuprofène, la bourdaine, les vitamines, des doses homéopathiques d’arnica, dont la délivrance demande souvent des avis ou des conseils éclairés. Pour la semblant toute banale aspirine, Il existe en pharmacopée des doses limites, des intolérances allergiques, des effets secondaires nombreux, des incompatibilités avec certains traitements.
Pour justifier un soi disant souci économique, on met sur le même plan un médicament et une denrée alimentaire et on essaye de déconsidérer au passage une respectable profession. De toute façon, même si les enseignes citadines de ce distributeur arrivaient à leur fin, il est très peu probable qu’elles puissent assurer la diversité des formules, des dosages, des présentations galéniques.
M. Édouard Leclerc signale que l’acheteur pourrait bénéficier des conseils d’un pharmacien, celui qui est attaché au rayon de la parapharmacie ! Argument fumeux puisque la finalité de la formule de commercialisation préconisée est le libre-service, permettant des ventes massives au moindre coût, système dont on a pu évaluer les inconvénients lorsqu’il s’agit de cette « marchandise » un peu à part dans sa vocation : le médicament.
Mais, après tout, pourquoi pas envisager en grande surface la création d’un stand tenu par des pharmaciens salariés ne vendant que des produits ne nécessitant pas de prescription médicale, laissant aux confrères titulaires d’officine la délivrance des ordonnances comportant des produits soumis à réglementation ou vignettés, et, d’une façon générale, toutes les ventes (orthopédie, accessoires, aérosols, appareils de contrôle de glycémie, etc.), dont la diversité et la complexité seraient incompatibles avec la rentabilité ? Dans cette configuration on pourrait imaginer un patient sortant de chez le médecin avec une ordonnance, prendre chez son pharmacien attitré ses médicaments remboursés, et partir chercher ailleurs, dans une enseigne Leclerc (qu’il trouverait certainement dans un rayon de moins de 100 km) le sirop en ventre libre qu’il aurait jugé trop cher et qui lui serait proposé là à meilleur prix ; peut-être pourrait-il même profiter d’une promotion du mois !
Monsieur Leclerc est certainement un bon commerçant… doublé d’un très bon débatteur, aux moyens financiers puissants, mais sa propension à vouloir constamment élargir ses activités, dans des domaines où il ne semble pas particulièrement habilité comme la vente des médicaments, est vécue comme une agression portant un grand préjudice à une profession déjà en difficulté.
En dehors des arguments sérieux qu’elle peut pertinemment opposer, je pense que la pharmacie ainsi stigmatisée, pourrait aussi faire un pamphlet ironique sur « les nobles préoccupations de Monsieur Édouard Leclerc ».
Insolite
Épiler ou pas ?
La Pharmacie du Marché
Un comportement suspect
La Pharmacie du Marché
Le temps de la solidarité
Insolite
Rouge à lèvres d'occasion