LA PUISSANCE du politiquement correct n’a pas besoin d’être soulignée. Le chroniqueur qui ne s’esclaffe pas en écoutant Stéphane Guillon ou qui éprouve de la gêne quand Didier Porte déverse son flot d’injures n’est pas vraiment de ce monde. La plupart de ceux qui, parmi nous, ont besoin d’un humour plus subtil pour sourire et ne croient pas que, plus c’est gros, plus c’est efficace, préféraient, jusqu’à présent, laisser faire et entendre une autre radio. L’annonce du licenciement de MM. Guillon et Porte pose un autre problème : à la censure par le choix d’un autre programme succède celle qui étouffe leur voix pour toutes les oreilles, y compris les plus complaisantes. Les deux humoristes avaient, assurément, leur clientèle ; ils pouvaient exciper sans doute d’une belle audience ; ils n’étaient pas plus coupables, de ce point de vue, que l’auteur imbécile qui vend un million de livres en racontant des fadaises. Ils auraient pu, pour leur défense, s’appuyer sur les règles du marché.
Talent éblouissant.
Au lieu de quoi, ils se sont drapés dans la dignité qu’ils n’ont pas quand ils s’expriment. À leur manière et avec d’autres mots, ils plaident leur statut de victimes, le courage qu’ils ont eu à ignorer toute limite, y compris celle de l’élégance et du bon goût, et à bousculer tous les tabous. Ce seraient des innovateurs, des inventeurs, des pionniers. Ils auraient poussé leur art jusqu’à son sommet, avec leurs billets assassins qui n’épargnaient ni la majorité ni l’opposition, qui se moquaient de l’apparence physique de nos dirigeants (c’est le quolibet le plus scélérat, car nul n’est maître de la beauté ou de la laideur) ou de leur ridicule, des propos cités hors du contexte, des contradictions évidentes auxquelles conduit la répétition du discours politique, des fautes multiples commises à droite mais aussi à gauche. Il faut certes les dénoncer toutes ces dérives, les journalistes sont là pour ça, mais M. Porte, quand il utilise, à propos du président, le mot attribué à Anelka concernant Domenech, fait-il preuve d’un talent éblouissant ? La radio ne peut trier ses auditeurs et elle arrive dans toutes les familles, enfants compris, ces enfants qui répèteront ce qui a été sanctifié par une institution publique.
Bref, on dira des deux personnages ce que l’on pense, même si ce que l’on pense n’est pas partagé par le plus grand nombre. Mais s’il y a de l’audace à crever le plafond de la bienséance, il doit bien y avoir un tout petit peu de sagesse à n’exprimer que ce que l’on croit. Nous croyons, précisément, que ce qui contamine la France de plus en plus et contre quoi elle ne dispose d’aucun vaccin, c’est une immense vulgarité. Et nous croyons que cette vulgarité empoisonne notre existence parce qu’elle pourrit peu à peu le débat social et politique, parce qu’elle limite le vocabulaire à ces quelques mots qui ne sont que vomissures. Contrairement à ce qu’ils croient, MM. Guillon et Porte ne sont pas des révolutionnaires du langage ou de l’humour, ce sont les copies conformes d’une infinité de personnages créés par notre temps. Ils prennent notamment exemple sur un pouvoir qui ne mâche plus ses mots, tant il est stressé par la conjoncture.
Vaste programme.
Et si M. Sarkozy, oubliant la dignité de sa fonction, lance un « Casse-toi, pauvre c... » à un personnage qu’il eût mieux fait d’ignorer, il faut bien, alors, que les humoristes, en fassent plus que lui, toujours plus, dans la vulgarité. Avec un peu de temps, on finira par trouver tout naturel que la classe politique, les animateurs de télévision ou de radio, les éditorialistes, utilisent couramment le langage supposé des palefreniers (lesquels, s’ils existent encore, doivent mieux parler aujourd’hui que certains leaders politiques ou d’opinion). Si le public ne se satisfait pas d’un commentateur équilibré, celui qui fait la part des choses, ne défend pas une chapelle, n’a pas la carte d’un parti, et tient un discours tout en nuances, il faudra bien que le dit commentateur, pour garder son emploi, clame sur tous les toits que sa seule préoccupation n’est que de sodomiser les leaders qu’il critique. Vaste programme, qui serait même accablant s’il devait être pris à la lettre, inapplicable dès lors que personne ne songe à s’y soumettre. C’est alors, peut-être, que, pour innover, on reviendra à un langage plus châtié, et peut-être plus conforme à la syntaxe, pour autant qu’on ne l’aura pas oublié. MM. Guillon et Porte sont-ils des victimes ? Ils trouveront toujours, malheureusement, un public sur d’autres tréteaux. Ils peuvent prendre exemple sur Dieudonné, autre humoriste qui ne fait rire que les imbéciles et répand sa haine dans des salles pleines de ses adorateurs.
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