« COMMENT j’ai mangé mon estomac » (1) fait suite à la vingtaine de courts et délicieux romans que Jacques A. Bertrand a publiés depuis « Tristesse de la Balance et autres signes » en 1983. Le sujet de celui-ci est douloureux mais reste un récit léger, plein d’humour et d’amour, une leçon d’élégance et de pudeur.
Le narrateur, qui porte toujours le nom d’Anatole Berthaud, est sujet de longue date à des ulcères quand on lui découvre une petite tumeur au bas de l’œsophage. « On avait pu espérer qu’elle était bénigne. Elle était maligne » Tandis qu’il se bat contre la maladie, sa femme tombe dans un coma profond après une tentative de suicide ; on allait lui trouver peu après une tumeur au sein.
D’une situation désespérante naît un récit enthousiasmant. Étant « d’un naturel dolent dans un mode dolorifère », Anatole prend en effet les choses « plutôt tranquillement ». Certes, l’auteur nous immerge dans l’univers inhospitalier de l’hôpital, mais, pour lui, la maladie est une métaphore et, à ce titre, un objet littéraire. On se régale donc de cette traversée du désert qui dure quand même plusieurs années et nous donne in fine ce petit bijou de réalisme poétique.
À l’inverse, le ton de « l’Ablation » (2) est volontairement cru. Dans ce récit du cancer de la prostate où tout est véridique, Tahar Ben Jelloun (prix Goncourt pour « la Nuit sacrée ») se démultiplie, entre sa propre expérience après avoir été traité par la curiethérapie et celle d’un ami qui a dû subir l’ablation de l’organe. On le suit dans ses visites à l’hôpital, ses rendez-vous avec les médecins, dans ses peurs et ses interrogations car il a pris le parti de tout dire de la douleur physique et psychologique. Il touche ainsi aux deux tabous de la maladie et de la sexualité, évoquant autant l’incontinence que l’impuissance. « J’ai voulu montrer que le courage, la pudeur, la honte n’avaient pas lieu d’être quand on tombait malade. »
À mi-chemin aussi de l’acte médical et de l’aventure métaphysique, « Réparer les vivants » (3) est le roman d’une transplantation cardiaque en temps réel, soit 24 heures moins une minute précisément, entre le moment où Simon, un surfeur de 17 ans, a été déclaré en état de mort cérébrale après un accident de voiture et celui où Claire, une quinquagénaire à bout de souffle, a reçu le cœur du jeune homme.
Maylis de Kerangal (prix Médicis 2010 pour « Naissance d’un pont ») raconte avec une précision chirurgicale cette course contre la montre qui est aussi une course de relais dans un récit à plusieurs voix : celles du médecin en réanimation, des parents de la victime, du chirurgien, des infirmiers, des chauffeurs, autant de personnages complexes qui ne sont pas que des faire-valoir de l’acte médical. Un hymne à la vie sur fond du mystère de la mort et une double approche du cœur dans sa fonction organique et comme réceptacle des émotions.
Endormir la douleur.
« Les Endormeurs » (4) est un roman de la grande auteure néerlandaise Anna Enquist, qui fut psychanalyste avant de se consacrer à l’écriture. Il résulte de son immersion, à l’invitation du CHU de l’université libre d’Amsterdam, dans un service d’anesthésiologie. Les procédures décrites sont conformes aux opérations auxquelles elle a assisté mais les personnages ne vivent que dans la réalité fictive du roman.
Le récit se noue autour d’un frère et d’une sœur, psychothérapeute et anesthésiste, très proches depuis la mort de leur mère et par le fait que Suzanne a épousé le meilleur ami de Drik, lui aussi psychanalyste. L’arrivée d’un étudiant en médecine, qui va osciller d’une spécialité à l’autre et devenir l’amant de Suzanne, nous plonge au cœur d’un drame familial qui finira par lui être fatal. Une réflexion profonde sur les deux modes de traitement de la douleur humaine que sont l’anesthésie et la psychothérapie.
Kinésithérapeute de formation, Régine Detambel nous invite à une incursion dans la médecine de la Renaissance et à une réflexion sur le génie créateur. « La Splendeur » (5) est l’histoire de Girolamo Cardano, célèbre médecin, astrologue et mathématicien italien qui a traversé le XVIe siècle entre rationalité et mystère, en côtoyant les plus grands, de Charles Quint à Ambroise Paré, et dont la vie familiale fut aussi grevée de chagrins et d’adversités que son esprit fut léger et libre. Comme il prétendait être habité par un « démon », une sorte de bon génie qui le mettait sur le chemin des chiffres et des astres, c’est à ce génie que l’auteure prête sa plume. Il en résulte un décapant roman biographique, baroque et jubilatoire.
(2) Gallimard, 129 p., 14,50 euros.
(3) Verticales, 281 p., 18,90 euros.
(4) Actes Sud, 365 p., 22,80 euros.
(5) Actes Sud, 189 p., 19 euros.
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