L’excellent M. Montebourg, nous dit-on, ne pouvait prononcer un tel discours-programme sans l’aval du président de la République et du Premier ministre. Dans ce cas, le projet national plonge dans l’incohérence. Les attaques du ministre contre la Commission européenne, contre l’euro, contre à peu près tout ce qui vient de Bruxelles, n’ont jamais été fait partie de la stratégie de M. Hollande ou de M. Valls. S’il y a quelque chose qui semble relever de l’esprit réformiste dans ce que dit M. Montebourg, c’est uniquement l’annonce d’une révision des professions réglementées (avocats, huissiers, etc.) qui ont d’ailleurs réagi avec hargne. Pour tout le reste, et notamment les baisses d’impôt, on est en droit de se demander comment, à force de diminuer les recettes, on pourra atteindre cet équilibre budgétaire qui semble être le dernier souci du ministre.
Par conséquent, on a plutôt tendance à croire que le ministre de l’Économie s’est livré à une démarche toute personnelle destinée à infléchir substantiellement l’action du gouvernement. Il s’est brutalement emparé d’une partie du pouvoir de décision, en sachant sans doute qu’il ne sera pas sanctionné parce que MM. Hollande et Valls ne peuvent pas se permettre d’ajouter du désordre à celui qu’entretiennent savamment les « frondeurs » socialistes de l’Assemblée nationale. Plus que jamais, on nage dans l’ambiguïté : il est très vraisemblable que l’exécutif laisse le ministre le plus arrogant, le plus bavard, le plus décidé à marquer sa différence, faire son fréquent numéro d’équilibriste (je suis au gouvernement, mais je peux le quitter quand je veux, M. Valls peut avoir ses projets, cela ne m’empêche pas d’avoir les miens), avec l’espoir que les paroles de M. Montebourg mettront du baume au cœur de la gauche de la gauche, révoltée contre ce qu’elle appelle la politique d’austérité.
Un autre danger pour Hollande.
De son côté, Manuel Valls ne perd pas la moindre occasion de réaffirmer sa détermination et son autorité, ce qui crée une cacophonie désagréable, mais qui, surtout, ne rassure guère les acteurs économiques qui ne savent jamais dans quelle direction va le pays, sur le sentier ardu des diminutions de la dépense ou sur la route confortable qui conduirait à une France de plus en plus défiscalisée et de plus en plus déficitaire. On peut craindre, sans mettre en doute les convictions du ministre de l’Économie, que sa « sortie » solennelle et inattendue lui serve en réalité de marche-pied politique. Il prend date et rappelle aux Français que le scénario d’un François Hollande affaibli laissant progressivement la place à un Manuel Valls de plus en plus populaire n’est pas écrit dans le marbre ; qu’aux élections primaires du parti socialiste, il avait recueilli 17 % des suffrages contre 5 % à M. Valls ; que, si la gauche de la gauche se rassemble, elle peut imposer sa volonté en le choisissant comme leader. Si le chef de l’État veut, à travers ce trublion de ministre, garder le soutien des « frondeurs » ou retrouver celui des écologistes, il doit veiller maintenant à un autre danger. Il savait que, en nommant M. Valls Premier ministre, il se créait un concurrent naturel. Il en a peut-être deux aujourd’hui.
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