À en croire certains patients, les pharmaciens seraient les seuls capables de déchiffrer les traits et autres vaguelettes qui caractérisent la légendaire « écriture des médecins ». Pourtant, l'implication de l'ensemble de l'équipe officinale ne suffit pas toujours à percer les mystères de certaines ordonnances manuscrites.
Après avoir sollicité ses adjoints, une ligne résiste toujours à Gaëlle malgré sa persévérance, il faut donc appeler le médecin. « Il ne se souvenait pas de sa prescription et n'a rien trouvé dans le dossier médical. Alors il a fini par me dire que ce n'était pas grave, que la patiente ne le prendrait pas cette fois et qu'il verrait à la prochaine consultation. » Si l'appel au médecin s'avère infructueux, Facebook semble alors la solution de dernier recours. Fondée et modérée par Rodolphe Cohen, pharmacien à Saint-Denis (Seine-Saint-Denis), la page « Tu sais que tu es pharmacien… », permet aux quelque 18 000 membres de bénéficier de l'expérience de confrères passés experts en la matière. Ce jour-là, c'est Juliette qui met en ligne la photo d'une ordonnance qui lui donne du fil à retordre. « Bonsoir, j'aurais besoin de votre aide. Il s'agit d'un patient avec affection ORL, type gros rhume tenace. Je n'arrive pas à comprendre la première ligne, il semblerait que ce soit un antibiotique. » 46 commentaires plus tard, la plupart des déchiffreurs croit lire « Unacim ». Après vérification auprès du médecin, c'est en fait le nom d'un anti-histaminique qui est inscrit sur la première ligne : « C'était Kestin, pas du tout un antibiotique finalement. »
Chaque jour dans son officine, Rodolphe Cohen avoue traiter au minimum « 5 ordonnances difficiles à lire » en plus du temps passé sur Facebook à aider ses confrères. « Il suffit de prendre en photo l'ordonnance en entourant la partie qui pose problème et en préservant l'anonymat du médecin. Les réponses affluent ensuite très rapidement. » Selon lui, imposer des règles ou sanctionner les médecins à l'écriture indélicate ne serait pas pertinent. À ses yeux, les problèmes de déchiffrage nuisent surtout au dialogue entre pharmaciens et médecins. Sensibiliser les étudiants en médecine à l'importance d'écrire lisiblement ne serait pas superflu, même si la graphie des nouvelles générations semble meilleure que celle de leurs prédécesseurs.
La capacité des jeunes médecins à écrire plus lisiblement suscite d'ailleurs plus d'espoir chez Rodolphe Cohen que l'avènement de la prescription informatisée. « La semaine dernière, je reçois par mail une ordonnance sur laquelle il est précisé « attelle » sans autre précision. Il a bien fallu rappeler le médecin. » S'il n'apprécie pas de perdre du temps quotidiennement à cause de médecins pas assez consciencieux, il juge, dans le même temps, que certains officinaux font aussi, parfois, preuve d'un excès de zèle sur cette question. « Refuser de délivrer un médicament parce qu'on estime que le nom est mal écrit, cela ne pénalise qu'une seule personne : le patient. En 2019, grâce à Internet et à certains outils, comme le logiciel de double contrôle, on peut avoir accès à n'importe quelle information en à peine quelques secondes. »
Une lettre qui change tout
Confondre une lettre avec une autre, délivrer le mauvais traitement et être tenu pour responsable des problèmes de santé d'un patient : ce scénario catastrophe a été vécu par un pharmacien français en 2004. Suivi pour des problèmes de lombalgies, un agriculteur de 42 ans se présente au comptoir pour obtenir un anti-inflammatoire et un autre médicament, le Dodécavit, sous forme injectable. Rédigé de manière peu lisible, le mot « Dodécavit » est mal interprété par l'officinal qui, à la place, croit lire « Modécate ». Pendant 8 jours, deux infirmières libérales vont donc injecter quotidiennement un neuroleptique dont les prises sont normalement espacées de trois voire quatre semaines. Conséquence pour l'agriculteur : un syndrome pyramidal de type parkinsonien conduisant à une incapacité de travail d'une durée de 9 mois. Suite à l'ouverture d'une procédure civile, des experts ont été mandatés. Si ces derniers ont estimé que la première lettre du nom du médicament, un « D », pouvait être effectivement confondue avec un « M. », en raison d'une « lecture difficile », ils ont jugé que les lettres suivantes étaient, au contraire, « correctement écrites ». C'est donc l'officinal impliqué qui a été reconnu coupable de « légèreté » et de « manque de vigilance » dans la délivrance du médicament. Sa responsabilité a été retenue à hauteur de 70 %. Le tribunal a en effet jugé que l'officinal aurait dû être alerté par l'incohérence entre la posologie mentionnée par l'ordonnance (qui précisait une injection par jour pendant huit jours) et celle du Modécate. Si les infirmières ont également été reconnues responsables (à hauteur de 30 %), le médecin, lui, a été exonéré de toute faute.
Les médecins écrivent-ils vraiment mal ?
Un même cas peut aboutir à des condamnations très différentes selon le tribunal saisi, mais aussi suivant le professionnel de santé poursuivi par la victime (lire ci-dessous). Si en France aucun médecin n'a encore été condamné, à l'étranger, des généralistes ont déjà été sanctionnés à cause de leur écriture. En 2012, le Collège des médecins québécois a ainsi infligé une amende de 800 dollars à un médecin à cause de notes manuscrites rédigées « de manière illisible ». Dans l'État indien de l'Uttar Pradesh, trois médecins ont subi les foudres de la justice locale pour avoir rédigé des rapports médicaux dont la qualité graphique laissait à désirer. Estimant les rapports « minables et inutilisables », les juges ont condamné les trois médecins à 58 euros d'amende chacun.
Ces affaires tendent-elles à prouver que l'écriture des médecins est bel et bien pire que celle des autres professionnels ? Graphologue et experte près la cour d'appel de Paris, Liliane Noël réfute fermement cette impression : « Il n'existe pas d'écriture-type pour les médecins, comme pour toute autre catégorie d'ailleurs, la qualité d'écriture est propre à chaque individu. On ne peut donc pas faire de généralité. » La « légende de la mauvaise écriture des médecins », deux chercheurs britanniques n'y ont jamais cru. En 1996, dans le cadre d'une étude publiée dans le « British Medical Journal » (BMJ), les Prs Berwick et Winickoff ont demandé à 209 professionnels de santé, dont des médecins, de rédiger rapidement une note. Quatre experts ont ensuite évalué ces échantillons. Résultat : les notes rédigées par les médecins n'étaient pas moins lisibles que celles des autres cadres de santé.
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