C’EST AU TERME de mois de mystères et de semaines de spéculations que les onze membres de l’Académie Nobel ont récompensé Patrick Modiano pour « l’art de la mémoire avec lequel il a évoqué les destinées humaines les plus insaisissables et dévoilé le monde de l’Occupation ». Chacun de ses livres apparaît comme la pièce d’un puzzle, semblable et différente, tandis que les thèmes toujours recommencés sont proches, admet-il, des romans policiers : la disparition, les problèmes d’identité, l’amnésie, le retour vers un passé énigmatique ou le fait de proposer des témoignages contradictoires sur une personne ou un événement.
Patrick Modiano a reçu la récompense suprême à l’âge de 69 ans, après une vie consacrée à l’écriture puisqu’il a publié son premier roman, « la Place de l’Étoile », à 22 ans, après une enfance solitaire – rejeté ou ignoré par ses parents – et une adolescence tourmentée, avec comme seul repaire la présence et le soutien de Raymond Queneau, un ami de sa mère qui l’a introduit dans le monde littéraire.
Son chemin était dès lors tracé, ponctué d’une trentaine de romans, avec seulement, au début de sa carrière, l’écriture de quelques chansons (le fameux « Étonnez-moi, Benoît… ! », fredonné par Françoise Hardy) et de divers scénarios, dont, bien sûr, en 1973, celui de « Lacombe Lucien », réalisé par Louis Malle (l’histoire d’un jeune homme parti rejoindre la Résistance pendant l’Occupation et qu’un « rien » fait basculer dans la Milice).
Salué dès 1968 par les prix Roger-Nimier et Fénéon pour « la Place de l’Etoile », Patrick Modiano a ensuite accumulé les récompenses, parmi lesquelles le Grand Prix du roman de l’Académie française en 1972 pour « les Boulevards de ceinture », le prix des Libraires en 1976 pour « Villa triste », le prix Goncourt en 1978 pour « Rue des boutiques obscures » et plusieurs autres prix prestigieux pour l’ensemble de son œuvre.
Les éditions Gallimard, qui l’ont toujours accompagné, ont eu la bonne idée l’année dernière de rassembler en un volume de la collection Quarto (1), dix de ses romans. On retrouve dans cette sélection – réalisée en accord avec cet auteur particulièrement discret –, « Pedigree », qui peut être considéré comme son seul livre autobiographique bien qu’il se cantonne à son enfance et son adolescence.
Ces romans au ton « modianesque » très reconnaissable sont des sortes de rêveries qui relèvent de l’imaginaire. « Il ne s’agit jamais pour moi de me plonger de façon narcissique dans mon enfance. Je n’écris pas pour parler de moi ou essayer de me comprendre. Ni pour reconstituer les faits », souligne le lauréat. Il met en place une intrigue mais en fait peu de cas et entraîne le lecteur sur des chemins de traverse avec des personnages à la mémoire hésitante ou défaillante, que l’on retrouve parfois d’un livre à l’autre et qui déambulent dans le Paris d’hier ou d’aujourd’hui à la recherche d’une histoire, de leur histoire. On se laisse facilement prendre à ces récits sibyllins, écrits de manière simple et limpide – en un mot poétique.
Une nouvelle pièce du puzzle.
« Pour que tu ne te perdes pas dans le quartier » (2) est de cette eau, délicieuse et mystérieuse, qui puise son origine dans des souvenirs de son enfance où il a été entouré de personnes un peu louches, dans un climat étrange. L’histoire court sur plusieurs périodes. Jean Daragane, un écrivain sexagénaire qui vit retiré et solitaire, reçoit l’appel – une voix « molle et menaçante » – d’un certain Gilles Ottolini, pour l’avertir qu’il a retrouvé son carnet d’adresses perdu plusieurs mois auparavant. Lorsqu’il vient pour lui restituer, accompagné d’une étrange jeune femme, il semble intéressé par l’un des noms qui figure sur le carnet, un certain Guy Torstel. Un nom qui apparaît également furtivement dans un roman que Jean Daragane a écrit bien des années auparavant.
L’auteur nous appâte mais le mystère est ailleurs : les Ottolini, Torstel et comparses ne sont pour Daragane/Modiano qu’un prétexte à dérouler les fils de sa mémoire et retourner dans le passé, à Saint-Leu-la-Forêt, où, dans une maison de son enfance dans les années 1950, il a croisé d’improbables visiteurs, gens de l’ombre et des milieux interlopes, un docteur et une femme nommée Annie Astrand, qui fut pour lui une mère de substitution et plus, ou pire, peut-être. Car le mystère perdure évidemment, le passé brouille le présent et inversement.
(2) Gallimard, 160 p., 16,90 euros.
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