Essayiste et romancier, Norman Ohler a relu la seconde guerre mondiale sous l’angle des médicaments et des drogues, une dimension dont il s’étonne qu’elle n’ait jamais vraiment été étudiée jusque-là, même dans les biographies d’Hitler dont on connaissait pourtant les penchants pour les remontants, fortifiants et autres stimulants.
Dans les années 1920, l’Allemagne devient la « cuisine chimique » de l’Europe et produit aussi des dizaines de tonnes d’amphétamines et de morphiniques. Une grande partie de ces spécialités est en vente libre dans les pharmacies et, en 1937, les laboratoires Temmler mettent sur le marché une méthamphétamine, la Pervitine, qui va connaître un destin fulgurant.
La Pervitine, équivalente à l’actuelle « Crystal Meth », devient la drogue à la mode, en stimulant l’esprit et la créativité et retardant ou supprimant le sommeil pendant 24 ou 48 heures. Les autorités sanitaires civiles s’inquiètent rapidement de son usage croissant, mais les militaires, à l’initiative du physiologiste Otto Rauke, en découvrent tout aussi vite l’intérêt stratégique.
En septembre 1939, les soldats allemands qui déferlent sur la Pologne sont nombreux à renforcer leur enthousiasme et leur endurance grâce à la Pervitine. Les autorités décident toutefois, au même moment, de la réserver à la prescription médicale, puis l’inscriront au tableau des stupéfiants en 1941. Fin 1939, l’armée commande à Temmler 35 millions de doses de Pervitine, en ampoules ou capsules, qui seront généreusement distribuées aux soldats lors de la campagne de France de mai-juin 1940. Archives et témoignages mettent en avant la rapidité et le mépris du risque des soldats allemands mais, montrent les rapports des médecins militaires, la Pervitine a souvent beaucoup plus motivé les soldats que le patriotisme.
En une dizaine de jours, la Wehrmacht repousse ses adversaires jusqu’à Dunkerque, puis stoppe subitement son offensive. Cet arrêt stratégiquement incompréhensible permit à 340 000 soldats français et anglais de gagner l’Angleterre. Faut-il y voir une conséquence de la morphinomanie de Goering, chef de l’armée de l’air, qui donna cet ordre pour « achever » la bataille avec ses seuls avions mais surestima totalement leurs forces, transformant ainsi la débâche de Dunkerque en une demi-victoire alliée ? Si la Pervitine peut être considérée comme « la drogue de la Blitzkrieg », elle n’en resta pas moins abondamment consommée ensuite, mais avec moins de « succès ». De plus, dès 1941, ses effets secondaires psychiatriques et cardiovasculaires, tempèrent l’enthousiasme pour le produit.
En 1944 et 1945, l’armée allemande testera, sur des déportés, des préparations encore plus puissantes, dont des mélanges surdosés de cocaïne, de Pervitine et de morphine, afin de supprimer tout sommeil pendant quatre jours et quatre nuits. Malgré des essais peu concluants, certains de ces produits furent fabriqués par des pharmaciens et administrés à des marins et des aviateurs. Ils eurent en général des effets catastrophiques.
Ce livre, non encore traduit, se lit comme un roman et s’achève sur des entretiens avec des pharmacologues militaires contemporains. Ceux-ci, à l’image de ce qui a été souligné lors des attentats de Paris, relèvent que l’usage de psychotropes a certes pu favoriser la combativité et la vigilance des soldats, mais n’explique pas à lui seul tout le sort des batailles. De même, la toxicomanie d’Hitler et de Goering peut nous éclairer sur certains de leurs choix, de plus en plus irrationnels et aberrants au fil du temps, mais n’excuse ni n’amoindrit leurs crimes.
L’ouvrage aborde en détail la consommation d’Hitler et ses relations troubles avec son médecin personnel, le Dr Théo Morell, devenu petit à petit son véritable « dealer ». Il commence par lui administrer des vitamines et des produits biologiques puis, surtout après l’attentat de juillet 1944, des fortifiants et des psychotropes de plus en plus forts. Quelques jours avant sa mort, Hitler, terré dans son bunker, le congédie brusquement lorsqu’il n’est plus en mesure de lui trouver ces produits dans Berlin assiégé : « Il avait commis, conclut Ohler, la pire faute que puisse commettre un dealer, ne plus pouvoir livrer son client. » Détenu pendant deux ans par les Américains, Morell mourra dans une clinique en 1948…
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