D’ABORD, EXAMINONS l’émotion. Pourquoi le cas de cette adolescente de 15 ans, dont la famille se trouvait en situation irrégulière, a-t-il soulevé une telle rage dans la totalité de la gauche, forces de gouvernement et d’opposition incluses, sinon parce que la gauche est de moins en moins en adéquation avec les réformes voulues par le chef de l’État ? En quelques heures, une sorte d’incendie moral a embrasé non seulement la gauche d’opposition et l’aile gauche du PS mais des hommes, comme Claude Bartolone, président de l’Assemblée nationale, qui représentent le pouvoir lui-même. L’affaire Leonarda a servi de prétexte à une contestation plus vaste qui conteste tout à la fois la réforme des retraites, la hausse des impôts et ce que beaucoup considèrent comme une indulgence particulière à l’égard des riches et des entreprises, sans se soucier des conséquences désastreuses d’une amputation des forces de production. Pour n’avoir pas prévu cette réalité, Manuels Valls a poussé son bouchon trop loin. Même s’il reste ministre, il peut compter un par un ceux qui l’ont littéralement accablé d’injures. Il sait à la fois qui ils sont et quel obstacle ils représentent à ses propres ambitions.
Il est peu probable que M. Valls ait été alerté de l’interpellation de Leonarda quand elle a eu lieu ou qu’il ait ordonné lui-même qu’on aille la chercher dans son bus scolaire. Mais c’est lui qui, par une circulaire, a permis que les personnes devant quitter le territoire national ne soient plus protégées par le milieu scolaire. Est-ce un crime ? Plutôt une maladresse dictée par le désir de ne créer aucun frein à la procédure d’expulsion dès lors que les conditions juridiques sont réunies. Bref, M. Valls n’aurait pas été enfoui sous un tombereau d’injures si ses « amis » ne lui réservaient depuis un moment un chien de leur chienne.
Révolte lycéenne.
Cette offensive théâtrale, caricaturée jusqu’au grotesque, frisant l’hystérie, assortie, comme par hasard, d’une révolte lycéenne, visait le ministre de l’Intérieur. Mais elle atteint indirectement le chef de l’État. La gauche est satisfaite du mariage pour tous, elle conteste tout le reste : le report de l’âge de la retraite et l’augmentation des annuités de cotisations ; les « cadeaux » accordés aux entreprises sous la forme de ristournes fiscales ; le refus de nationaliser Florange ; la domination allemande sur l’Europe ; la hausse de la fiscalité qu’elle veut réserver aux nantis ; la baisse de la dépense publique et la réduction des déficits. Une sorte de nébuleuse difficile à circonscrire, comprenant les élus de la majorité qui vote les lois (pas toujours : il y a eu de nombreuses défaillances socialistes lors du vote du budget) et une opposition hargneuse, celle du Front de gauche, conteste François Hollande avec de plus en plus d’audace et avec une violence qui menace les mécanismes institutionnels.
Car sur qui, désormais, le président s’appuie-t-il pour appliquer les 60 propositions du candidat Hollande ? Sûrement pas sur la droite et sur l’extrême droite, qui rejettent systématiquement tout ce qu’il fait. Presque plus sur la gauche. Pas davantage sur l’opinion, qu’il ne peut pas prendre à témojn en passant au-dessus de la tête des partis, puisque sa cote de popularité est plus basse que jamais. Quand on voit à quelles extrémités verbales se livrent des hommes comme Pascal Durand, des Verts, ou des socialistes bon teint, quand ils évoquent le cas Léonarda avec les tremolos que soulèverait un crime contre l’humanité, on imagine presque que la prochaine initiative de l’Élysée ou de Matignon pourrait déclencher une révolution.
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