Prix Renaudot en 2002 pour son premier roman, « Métaphysique du chien », Philippe Ségur fait montre dans son dixième livre, « Extermination des cloportes » (1), du même goût pour le burlesque et de la même causticité. Don Dechine et Betty sont deux enseignants très amoureux, l’un de l’autre mais aussi de la série télévisée « les Soprano », qui, soir après soir, leur permet d’oublier les avanies de la journée, au détriment de leurs ambitions, de doctorat pour l’une et de littérature pour l’autre. Ils décident alors de tout plaquer et, pour en finir avec le lycée, les PV et les tracas de copropriété, de vendre et de s’installer à la campagne. C’est méconnaître la jungle impitoyable de l’immobilier, d’autant plus que Don se réveille un matin avec un cloporte dans l’œil, comprenez la vue complètement brouillée… Quand, par la grâce de l’auteur, qui est professeur de droit constitutionnel et de philosophie politique, la banalité du réel se transforme en une aventure picaresque.
François Roux est réalisateur de films documentaires, dramaturge et metteur en scène de théâtre, il est aussi l’auteur, en 2014, de « Bonheur national brut », une fresque des années Mitterrand devenue un best-seller. « Tout ce dont on rêvait » (2) court sur deux décennies à partir des années 1990 lorsque Justine, amoureuse d’Alex, qui ne l’aime pas, finit par épouser le frère de ce dernier, Nicolas. Le couple poursuit son bonhomme de chemin avec deux enfants, jusqu’au jour où Nicolas perd son emploi ; un accident de parcours qui remet leur paisible vie en question. À travers le destin de deux personnages, banals mais fragilisés par leur passé, François Roux poursuit la chronique de notre époque minée par le chômage et les compromis idéologiques.
Après un premier roman qui se situait dans la France du XVIIe siècle (« Prométhée vagabond »), Alexis David-Marie, qui enseigne l’histoire au collège, nous confronte, avec « MartyrsFrançais » (3), à la réalité actuelle de notre pays à partir d’un fait-divers. Un homme, bénévole dans une association caritative, a été poignardé par un migrant ; alors que son fils, François, tente de faire son deuil, sa cousine, militante d’extrême droite, s’empare du drame et, en pleine période électorale, provoque un emballement médiatique. Entre récit d’une querelle de famille qui dégénère et portrait glaçant d’un pays confronté à la marée brune.
2050, c’est demain et c’est l’époque que Jennifer Murzeau a choisi comme cadre pour « la Désobéissante » (4), son troisième roman. Une époque où une minorité de nantis qui gobent docilement leur Exilnox vivent sous des dômes climatisés tandis qu’autour les misérables, rendus inutiles par l’automatisation, se battent pour survivre. Partout, les pubs et les flashs info anxiogènes matraquent les cerveaux. Dans ce contexte apocalyptique, une jeune femme découvre qu’elle est enceinte et rallie une poignée de hackers pour incarner la révolution citoyenne. Une fable qu’on lit comme un appel à la responsabilité individuelle et collective, avant qu’il ne soit trop tard.
La Finlande et New York
Le premier roman du Finlandais Tommi Kinnunen, professeur de littérature et de finnois, a été couronné meilleur livre 2014 par le Finnish Grand Journalism Prize. « Là où se croisent quatre chemins » (5) est un roman familial où s’expriment quatre voix, de 1895 à 1996 : celle de Maria, une mère célibataire qui exerce la profession de sage-femme ; celle de sa fille Lahja, abandonnée par l’homme qui la met enceinte ; celle d’Onni, revenu de la guerre en héros et qui va donner à Lahja et à son enfant un foyer ; et celle de Kaarina, leur belle-fille, qui va faire tomber les non-dits transmis de génération en génération. Ce roman sur l’altérité, l’aliénation et les secrets, brosse aussi un portrait de la société finlandaise au XXe siècle.
« L’Immeuble Christodora » (6) est également un premier roman, signé du journaliste Tom Murphy, un roman ambitieux et kaléidoscopique qui décrit l’évolution d’un certain New York et montre comment les existences sont hantées par le poids du passé. Le récit a pour cadre un vieux building de l’East Village dans un quartier en pleine mutation, où les bobos ont remplacé les toxicomanes et les sans-abri. Dans l’immeuble Christodora habitent Milly et Jared, un couple d’artistes, et Hector, un ancien militant de la cause gay, qui ne s’est jamais remis de la mort de son compagnon, emporté par le sida. Plus tard, Mateo, le fils adoptif de Milly et Jared, se rebelle contre ses parents et la bourgeoisie blanche qu’ils incarnent et sombre petit à petit dans les paradis artificiels. La boucle est bouclée, restituée dans un va-et-vient temporel qui a valeur d’épopée.
(1) Buchet-Chastel, 288 p., 18 €
(2) Albin Michel, 325 p., 20 €
(3) Aux Forges de Vulcain, 187 p., 17 €
(4) Robert Laffont, 270 p., 18,50 €
(5) Albin Michel, 351 p., 22 €
(6) Plon, 570 p., 21,90 €
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