PIERRE-JEAN DESCAUX aurait-il ouvert la boîte de Pandore ? Ce titulaire de Crépy-en-Valois (Oise), fatigué de batailler avec son grossiste-répartiteur depuis six ans pour tenter d’obtenir les remises promises, a voulu savoir comment ses confrères s’en sortaient. Son enquête a déjà obtenu une centaine de témoignages de pharmaciens mécontents, dont certains n’ont pas leur langue dans leur poche. Globalement, le constat est le même pour tous : « manque de clarté », « aucune transparence et lisibilité des factures », « accord non respecté », « retard de régularisation », « remises non versées dans leur intégralité », « non-paiement des remises », « vérification difficile, voire impossible », « interlocuteur absent », « avoirs avec minoration », « opacité totale », « complexité accrue », « mode de calcul nébulo-gazeux », « pas d’engagement écrit »… Pierre-Jean Descaux se sent moins seul, les confrères n’hésitent pas à le remercier d’engager cette action et réclament même de se réunir « pour être plus fort ».
Même si son enquête n’a pas valeur de sondage, le pharmacien note que sur la centaine de plaintes reçues, la plus grande part concerne Alliance Healthcare. Mais les autres acteurs ne sont pas épargnés et l’OCP, les CERP et Phoenix sont également pointés. Le premier reproche est l’absence d’un « contrat régissant leurs conditions commerciales », suivi de l’application « d’une politique cynique ». Dans la synthèse qu’il livre, Pierre-Jean Descaux s’offusque de la ligne de conduite de certaines agences qui « attirent un maximum de pharmaciens avec des remises alléchantes qu’ils ne versent jamais », ces derniers se retrouvant selon lui enchaînés au grossiste par l’espoir d’obtenir une régularisation qui, si elle a lieu, se fait au compte-gouttes et jamais intégralement. Un pharmacien de l’Eure-et-Loir affirme que « l’objectif de tout grossiste-répartiteur est de faire le maximum de chiffre d’affaires en distribuant le minimum de remises ». Un confrère du même département signale qu’après avoir changé de grossiste, il n’a jamais récupéré le reliquat de remises dues par le précédent et celles du dernier mois ont carrément disparu. D’autres témoignages parlent aussi de litige en cours depuis deux ans, ou encore de contrat toujours pas respecté trois ans après une victoire du pharmacien devant les tribunaux. Autant de procédures « chronophages » pour les titulaires.
Partenaire ou adversaire.
Un pharmacien girondin s’énerve quand il s’entend répondre qu’il n’a qu’à adhérer au groupement lié à son grossiste pour obtenir sa légitime régularisation. Autre insatisfaction : lorsqu’il y a paiement des remises, c’est toujours avec un mois de décalage. « Autrefois, c’était pour qu’ils aient le temps de calculer les montants, aujourd’hui cet argument est dépassé », s’irrite un titulaire de la Somme. Ces témoignages semblent être un échantillon d’une colère grandissante chez les officinaux, qui ne voient plus leur principal fournisseur comme un partenaire mais comme un adversaire. Pierre-Jean Descaux s’attend à recevoir d’autres confidences maintenant que le problème est porté sur la place publique*. « Je ne connais aucun des pharmaciens qui ont répondu, ce questionnaire a été envoyé par fax, ils répondaient s’ils le souhaitaient et sans pression aucune. »
Fort de ces nombreux témoignages, le pharmacien de l’Oise demande l’intervention de l’Ordre. Si l’instance ne s’occupe pas des relations commerciales de ses membres, Pierre-Jean Descaux considère qu’elle a au moins le pouvoir de remédier à « une absence totale de déontologie des grossistes ». Il l’invite à mener sa propre enquête pour vérifier ses dires, et surtout à « mobiliser (ses) juristes pour régler dans les meilleurs délais la soixantaine de litiges révélés ».
Des engagements bilatéraux.
Que pensent les répartiteurs de ce flot de critiques ? Contactés par « le Quotidien », ils sont rares à souhaiter s’exprimer. Philippe Godon, directeur général délégué d’Alliance Healthcare répartition et président de la section C, s’étonne en tout cas de ce mouvement dont il affirme ne pas avoir eu connaissance. Il s’interroge par ailleurs sur les compétences de l’Ordre à intervenir dans ce domaine purement commercial. Même discours à la Chambre syndicale de la répartition pharmaceutique (CSRP) qui affirme ne pas avoir été informée de ces plaintes. « En tout état de cause, nos membres n’échangent pas autour de la table sur leurs pratiques. Elles n’appartiennent qu’au domaine du commercial et ne relèvent donc pas de sujets pharmaceutiques », souligne Emmanuel Déchin, secrétaire général de la CSRP.
Pourtant, contraints par l’évolution des relations commerciales avec leurs clients, ou à la suite de contrôles de la Direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi (DIRECCTE), certains répartiteurs ont déjà fait le ménage. L’OCP déclare faire partie de ceux-là. « À mon arrivée, il y a trois ans, j’ai engagé un processus de contractualisation des échanges commerciaux. 70 % de nos clients ont opté pour ce contrat annuel qui définit les taux de remise par catégorie de produit », explique Hubert Olivier, président du directoire de l’OCP, précisant que cette démarche correspondait à un besoin. Le contrat conclu entre le répartiteur et son client porte sur un engagement de remises. En retour, le pharmacien s’engage à atteindre un certain montant de chiffre d’affaires. Autre effort de transparence, un relevé est envoyé au pharmacien chaque mois. « Par ailleurs, le prix net, donc remise déduite, figure sur la facture, notamment pour les produits de notre centrale d’achats », indique Serge Carrier, directeur général de Pharmactiv, groupement adossé à l’OCP. Depuis avril 2014, la transparence est également devenue le credo de la CERP Bretagne-Atlantique. Désormais, un contrat stipulant les conditions commerciales est signé avec la totalité des 1 200 clients du répartiteur breton, y compris les pharmaciens qui le choisissent en numéro deux ou trois. « Les taux de remise figurent à la fin de chaque ligne de commande, de sorte que le client connaît, pour chaque produit, le taux, et donc le montant de la remise qui lui sera versée en fin de mois », expose Ronan Rayssiguier, directeur général de CERP Bretagne-Atlantique. Le coup de gueule des pharmaciens permettra-t-il d’aller encore plus loin vers plus de transparence et de rigueur ? La balle est désormais dans le camp des répartiteurs.
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