À L’OFFICINE, les langues régionales n’ont pas dit leur dernier mot. Même si leur usage a considérablement reculé au fil des décennies, elles restent encore très parlées dans leurs régions d’origine, en particulier l’alsacien, le basque, le breton, le catalan et le corse, mais beaucoup plus à la campagne que dans les villes, et plutôt par des gens ayant dépassé la soixantaine. Pour de nombreux pharmaciens, surtout ruraux, il serait inconcevable de ne pas accueillir les patients qui le souhaitent dans leur langue régionale : « être basque, c’est d’abord parler basque », résume Jean-Pierre Elbert, installé depuis 1986 à Itxassou, non loin du « pays basque du sud », en d’autres termes le pays basque espagnol.
« Euskara badakigu », ici on parle basque, précise un autocollant sur la porte de sa pharmacie dont les vitrines, jusqu’à leur harmonisation avec les normes du groupement Giropharm, comportaient des inscriptions en typographie basque. Ici, les personnes âgées sont loin d’être les seules à parler basque, y compris à la pharmacie ou chez le médecin. Il est vrai que s’il était interdit, jusque dans les années 1960, de parler basque à l’école, la langue y est aujourd’hui enseignée, et Itxassou, village de 2 200 habitants, possède deux écoles bilingues franco-basques et une école basque, sans compter le collège basque situé un peu plus loin. « Le sentiment basque est très fort, et il m’arrive même d’écrire la posologie en basque sur les boîtes », poursuit le pharmacien, dont l’équipe est presque exclusivement bascophone.
« Quand je suis arrivé ici, 90 % des gens parlaient basque, puis la proportion a fortement baissé, mais la langue connaît une vraie renaissance depuis une quinzaine d’années », relève-t-il. Lorsqu’ils parlent de leur santé, les patients se sentent souvent plus à l’aise en basque qu’en français, une réalité que l’on retrouve dans toutes les autres régions disposant d’une langue. « Le basque est très imagé », souligne le pharmacien d’Itxassou, et permet de dire des choses que l’on n’arrive pas forcément à exprimer en français. Il existe des ouvrages sur le « basque médical » qui reprennent ces termes et ces expressions, comme c’est aussi le cas en breton et en alsacien.
Confiance et proximité.
Langue régionale la plus parlée en France avec près de 700 000 locuteurs, l’alsacien est riche également en expressions et en images, souvent savoureuses, pour décrire un état de santé : selon les linguistes qui l’ont étudié en détail, il dispose parfois de plus de termes que le français pour désigner un ressenti. Mais, à l’inverse, cette profusion peut favoriser les confusions… surtout qu’un Alsacien du nord ne parle pas le même alsacien qu’un Alsacien du sud. C’est à la fois pour recenser cette richesse et pour favoriser les échanges que le groupement IFMO, basé à Strasbourg, a réalisé dès 2005 un « petit lexique de l’alsacien au comptoir », qui traduit les principaux termes et les principales expressions liées à la santé et à la pharmacie dans les deux langues. Tout récemment, IFMO vient de publier un addendum à ce document, afin de faciliter les entretiens pharmaceutiques menés avec des patients dialectophones (voir encadré).
En Corse, François Gazano est installé à Bastelicaccia, aux portes d’Ajaccio. Le fait de parler corse avec les patients renforce la confiance et la proximité. « Cela nous met plus à l’aise, explique-t-il, et ça change la relation. » Aujourd’hui, le corse commence à reprendre ses droits, après avoir été longtemps proscrit : toute une génération n’avait pas le droit de le parler, et il renaît actuellement, même si, dans le même temps, son usage recule dans les villes. « J’espère vraiment que la Charte européenne permettra d’encourager son utilisation », poursuit M. Gazano qui, lui, n’a guère de problèmes pour trouver des corsophones : « Nous sommes dans une zone enclavée, avec du personnel local, et toute mon équipe est recrutée sur place et parle corse. » Il relève lui aussi la richesse de la langue et de ses expressions et considère que bien le parler fait partie de l’accueil et du service.
Fanch Broudic, spécialiste de la langue bretonne, constate pour sa part que l’usage du breton a trop reculé pour permettre encore des échanges fréquents en milieu professionnel, bien que le « breton médical » soit lui aussi très riche et très complet. De plus, relève le Dr Jean Branellec, anesthésiste à Brest et passionné par sa langue, beaucoup de langues régionales utilisent des mots français pour désigner des concepts ou des objets apparus récemment, alors que le breton, riche en suffixes et préfixes, est capable de les assimiler en les « bretonnisant ». Le breton est enseigné dans de nombreuses écoles, en immersion ou en classe bilingue, et ses partisans espèrent le voir revivre et se développer. Ils espèrent que la Charte européenne facilitera cet objectif, y compris dans le monde de la santé. Un article de la Charte appelle les pays signataires à veiller, entre autres, « à ce que les équipements sociaux tels que les hôpitaux, les maisons de retraite, les foyers, offrent la possibilité de recevoir et de soigner dans leur langue les locuteurs d’une langue régionale ou minoritaire ».
Enfin, si le catalan n’est plus guère parlé dans les officines des Pyrénées orientales, on l’entend encore souvent dans les rues et jusque dans les salles d’attente des médecins, selon Alain Ebner, pharmacien à Ille- sur-Têt. Et bien qu’il ne soit pas originaire de la région, ses clients n’hésitent pas à lui glisser un bon mot ou un proverbe en catalan, par exemple, les jours de pluie, « carrer moll, callei sec », ce qui signifie « trottoir mouillé, tiroir-caisse vide… »
Insolite
Épiler ou pas ?
La Pharmacie du Marché
Un comportement suspect
La Pharmacie du Marché
Le temps de la solidarité
Insolite
Rouge à lèvres d'occasion