« À 19 ans, j’apprends que je suis bipolaire, un choc pour moi et pour mon entourage. » : ce sont les années de crise de ce que l’on a longtemps nommé « psychose maniaco-dépressive » que raconte Agathe Lenoël, rédactrice free-lance, dans « Qui suis-je quand je ne suis pas moi ? » (1).
Avec ce qui semble être le recul du temps, elle déclare qu’après avoir longtemps tenu la maladie à distance, elle a envie de comprendre quel moi gît sous ces états paroxystiques, ce qui la conduit à consulter, à lire tous les grands spécialistes. La simple façon dont elle pose le problème lève beaucoup d’interrogations et rejoint la philosophie : existons-nous une fois « guéris » ou ne sommes-nous pas que nos symptômes ?
Agathe Lenoël suit des cours de philosophie à la faculté de Tolbiac lorsque naissent des états de grande excitation : « Je parle, je refais le monde, je ne dors plus. » Des crises qui vont ponctuer toutes les étapes de sa vie, causer de nombreux échecs professionnels et l’installer dans une longue suite d’internements et d’expertises psychiatriques. Ainsi, en 2009, alors qu’elle a réussi à créer sa boîte de rédactrice, « ça revient » ; elle a donné le même jour une dizaine de rendez-vous ! Bien évidemment, arrivent aussi les épisodes dépressifs. « Quand je passe sur le pont Saint-Michel, je vois des gens nus, décharnés (...) la réalité m’apparaît telle une menace, les ombres gagnent du terrain dans ma pensée. » Toujours très réflexive, Agathe Lenoël note que la tonalité affective, exaltée ou abattue, est moins importante que l’intensité d’un vécu qui tend à les confondre. Dans sa préface, le Pr Philippe Jeammet note que « tout excès cache son contraire. L’excès d’euphorie et l’excitation masquent la détresse, comme l’apparente toute-puissance et le narcissisme triomphant servent de couverture à une insécurité profonde. »
Osons la question : « Quelle fut la cause de la guérison ? » Le passage lent du lithium à risque tératogène au Zyprexa et au Lamictal ? À la réalisation (enfin !) d’un souhait torturant, la naissance d’un enfant ? Au réconfort qu’ont pu lui apporter les cas de la peintre Séraphine et d’Alexandre Jollien ?
La bipolarité, dit-elle vers la fin de ce livre sur le fil du rasoir, est « une course folle vers on ne sait quoi ». Que trouvons-nous au bout de cette échappée ? Philosophiquement, aucun moi véritable qui se cacherait sous les symptômes. Tandis qu’une réponse se dessine grâce à… Michel Sardou : comme pour la maladie d’amour, « le plus douloureux, c’est quand on en guérit ».
Retour vers l’existentiel
Dans « la Révolution du divan - Pour une psychothérapie existentielle » (2), Didier Pleux, docteur en psychologie du développement, repart d’une critique de Freud – sans la hargne insensée d’un mini-penseur normand. Simplement, il considère que « la recherche d’un sens caché inconscient n’est plus la priorité (...) ce sont les émotions et les comportements révélés, qu’ils soient adaptés ou non, qui signe notre façon de vivre avec Soi et avec les autres ».
D’où un retour vers l’existentiel et les dimensions de notre présence au monde : le Temps, l’Espace, le Corps et Autrui. Un retour donc vers Ludwig Binswanger. Donc, hélas, vers Heidegger !
(2) Odile Jacob, 262 p., 22,90 euros.
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