UNE FOIS QUE SERA PASSÉ le moment du lyrisme révolutionnaire, il faudra bien que la Tunisie retourne à ses activités si elle veut maintenir son niveau de vie. Les manifestants ne veulent pas plus céder au chantage économique qu’ils n’ont cédé à l’alibi de la croissance brandi, il y a quelques jours encore, par le despote. Il n’empêche que, en se prolongeant, la crise tunisienne favorise l’émergence de nouveaux dangers. L’exigence de liberté absolue, fort compréhensible, conduit néanmoins à un début d’épuration. Si on ne s’inquiète guère du sort des 36 membres des familles Ben Ali et Trabelsi qui ont été arrêtés pour avoir mis le pays en coupe réglée, on se demande si l’aversion qu’inspire aux Tunisiens le Rassemblement constititutionnel démocratique (RCD), qui jouait en Tunisie le rôle du Parti communiste en Chine, ne va pas se traduire par une chasse à l’homme. Il fallait un immense courage pour refuser d’adhérer au RCD qui, d’ailleurs, avait enserré les Tunisiens dans un maillage étroit. De la même manière, s’il semble que les émeutiers aient visé, avec une précision extrême, les sociétés appartenant aux deux clans des familles Ben Ali et Trabelsi, de nouvelles confrontations avec un pouvoir neuf mais chancelant risquent d’être moins sélectives.
La même aspiration à une liberté sans mélange a permis l’élargissement de tous les détenus politiques et le retour de tous les exilés. On ne peut que s’en féliciter tout en posant la question du rapatriement des intégristes, qui se présentent aujourd’hui comme des islamistes mous, à la façon de la Turquie, disent-ils, comme si on devait les croire sur parole. Comme le peuple est dans la rue, comme il discute de tout, comme l’enivrement révolutionnaire encourage le débat permanent, on ne saurait exiger que l’ordre soit rétabli très vite et que les Tunisiens retournent immédiatement au travail. Beaucoup d’entre eux, heureusement, soulignent que, dans la mesure où sont déjà prévues des élections qui désigneront un nouveau président et de nouveaux représentants du peuple, il n’est peut-être pas utile d’aller incendier les locaux du RCD ou de saccager des stations service. Encore faut-il que, dans cette période agitée, l’ensemble des Tunisiens rejoigne ce point de vue.
Le retour des droits de l’homme.
Il s’agit non seulement d’une révolution arabe sans précédent, non seulement d’un changement historique obtenu par la volonté du peuple (mais avec le complicité de l’armée et des États-Unis), mais d’un événement qui aura des conséquences dans le monde arabe et même ailleurs. Les rois et dictateurs arabes ne cèderont pas la place de sitôt d’autant que, désormais avertis, ils associeront la carotte et le bâton pour se maintenir au pouvoir. Et que le fameux alibi islamiste n’est pas qu’un alibi : les extrémistes s’emparent d’un pays à la faveur d’élections légitimes mais, ensuite, ne se soumettent plus au test électoral. En revanche, par un curieux retournement, les droits de l’homme, exaltés jadis jusqu’à inclure le droit d’ingérence, puis littéralement raillés il y a peu, ont montré leur énorme puissance de levier en Tunisie. Si, saisis par le même besoin de liberté, les Libyens se dressaient comme un seul homme contre leur potentat à demi-fou, qui dit qu’ils ne le renverseraient pas ? C’est aux Européens, notamment aux Français, que la question se pose. Nicolas Sarkozy a créé puis supprimé le secrétariat d’État aux Droits de l’homme, d’où Rama Yade fut écartée. Elle vient de prendre une belle revanche : les droits de l’homme doivent être inclus, et plus que jamais, dans l’analyse politique, celle que n’a pas faite à temps le Quai d’Orsay, complètement pris au dépourvu par la chute de Ben Ali le 14 janvier dernier.
Comme la France est en période électorale permanente, c’est le pouvoir en place qui subit le contrecoup français de la révolution tunisienne. Le socialiste Pierre Moscovici, habituellement peu porté sur les excès de langage, a tiré profit de la maladresse de la ministre des Affaires étrangères pour déclarer sans ambages qu’il avait « honte pour la France ». Expression qu’il faudrait réserver à des crimes plus sérieux que le manque de réactivité de notre gouvernement. François Fillon n’a pas eu tort de dire que, quelquefois, les événements vont plus vite que la diplomatie. Mais le mal est fait, non parce que la gauche a trouvé un nouveau marteau pour taper sur la tête de la droite, mais parce que, par ses cris d’horreur, elle a convaincu les Tunisiens de la rue que la France restait l’alliée du pouvoir qu’ils ont enfin délogé. Ce qui est faux, bien sûr, mais compliquera la tâche de notre diplomatie dans les semaines et les mois qui viennent.
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