Le fruit de trois années de débat sur l’avenir de la protection sociale vient de germer sous la forme d’un petit ouvrage collectif intitulé
« Système de santé : Aux grands mots, les grands remèdes »*.
Les auteurs sont les membres du Cercle Vivienne, un think tank animé d’une quinzaine de personnes, pour beaucoup issus du monde des complémentaires santé. « Cet ouvrage a pour seule prétention de faire réagir et d’engager un débat avec tous ceux qui l’acceptent », expliquent-ils en préambule, soucieux de ne pas être perçus comme les porte-parole d’une pensée lobbyiste. L’ouvrage a ceci d’original qu’il propose plusieurs scénarios catastrophes sur le futur de la protection sociale, à partir desquels le lecteur est invité à la réflexion.
« Le Quotidien » en a sélectionné trois
L’État, « Big brother » de la santé
Imaginons que l’État et à travers lui l’assurance-maladie endosse le rôle de grand timonier du système de santé. « Dans cette conception, tout ce qui ne vient pas de l’État est en quelque sorte "illégitime" ou, à tout le moins, suspect de partialité catégorielle », écrit le Cercle Vivienne. Dans ce monde à la « Big Brother », le « volontaire contractuel » devient « obligatoire administré » et les complémentaires santé n’ont pas droit de cité. Après avoir salué la mort du régime complémentaire, les syndicats de professionnels de santé, médecins en tête, déchanteront en comprenant que la généralisation du tiers payant n’est qu’une « première étape », anticipent pour le pire les auteurs. La coercition sera légion, le management par la norme la loi. « La question n’est pas tant de savoir si l’État est capable de piloter le système de santé, mais plutôt d’affirmer que celui-ci ne pourra gérer seul, d’en haut, sur tout et partout, par la magie de sa légitimité, les tensions qui le traversent », analyse le Cercle.
La tentation de la libéralisation à outrance
Le second scénario offre à l’inverse le plein pouvoir aux complémentaires santé. La tentation de la libéralisation à outrance du marché de la santé fait craindre au think tank un nivellement par le bas du remboursement des soins, et même de la pratique médicale. La compétitivité sera reine. Sans l’État, « les généralistes "généreux" sur les arrêts de travail seront mis sous pression des assureurs et des employeurs, pression qui pourra aller qu’à des refus de prises en charge d’arrêts de travail prescrits par tel ou tel. Une partie des activités des médecins de l’assurance-maladie sera ainsi transférée à leurs collègues appointés par les assureurs ». L’argent, le statut, la nature des risques couverts ou les indicateurs de performance creuseront un peu plus le système de santé en silo.
Demain, des patients militants ?
À l’aune du vote par la loi de santé des « class action » dans le monde de la santé, la prise de pouvoir des « patients militants » est la troisième intrigue imaginée. S’ils devenaient maîtres de leurs données de santé, auraient-ils l’idée de mettre en concurrence les prescriptions de médecins et les diagnostics ? « La encore, en France, nous en sommes loin, mais… le Blue Button nous attend au coin de nos écrans », prédit le Cercle Vivienne. Reste que ce dispositif, qui donne aux patients la capacité de télécharger leur dossier médical, est inscrit dans la stratégie numérique de Marisol Touraine, à l’horizon 2020. « Que la généralisation de la prise de pouvoir militante des citoyens soit réaliste ou pas, les questions qu’elle pose et les pratiques qui vont se développer autour de la place des individus dans le système percuteront profondément, à moyen terme, les positions acquises de nombreux acteurs qui, s’ils refusent d’affronter la question, risquent de "laisser les clés du camion" à d’autres dont l’éthique ne sera la préoccupation » concluent, froidement, les membres du cercle de réflexion.
*« Système de santé : aux grands mots les grands remèdes », publications du Cercle Vivienne, 168 pages, 10 euros, janvier 2017.
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