DIX ANS POUR RIEN ? C’est pire : dix ans de régression économique et sociale. Nous n’avons pas vaincu quelques fléaux sanitaires tenaces, comme le sida ou le paludisme. Nous avons vécu d’une croissance illusoire, qu’il a fallu payer très cher à partir de 2008. Nous pourrions nous consoler en constatant que la mondialisation, qui a fait chez nous des ravages inouïs, a profité au moins aux pays dits émergents : tout l’argent qu’auparavant nous avions déversé sur eux est allé à la corruption. Quand ils ont pris leurs affaires en main, ils nous ont taillé des croupières. Ils ont écarté la crise d’un revers de main, pendant que nous y plongions si profondément que nous ne voyons pas comment nous en sortir.
Le terrorisme, magnifié par les attentats du 11 septembre et ceux qui ont suivi en Europe, en Asie et ailleurs, ont réduit notre sécurité et, surtout, ont obligé nos sociétés dites ouvertes à poursuivre de leur suspicion les plus innocents des citoyens. Des gouvernements, et pas des moindres, ont multiplié à l’infini les mesures de prévention, au mépris de nos libertés essentielles. Un vent de « populisme » a soufflé sur l’Europe, ce qui l’a conduite à choisir des élus dangereux qui n’ont de cesse de cultiver l’intolérance et la persécution des immigrés.
De Katrina à Haïti en passant par le Pakistan, la réaction des gouvernements aux grandes catastrophes a été inférieure à ce que l’on attendait. George W. Bush, l’homme qui a consacré à une guerre complètement inutile et dévastatrice des centaines de milliers de vies humaines et une bonne partie du trésor américain, n’a pas été plus compétent ou efficace en Louisiane que le gouvernement de Paul Préval en Haïti. Nous avons découvert, avec une perplexité proche du désespoir, les failles de systèmes que nous croyions inaltérables : les milliards de dollars déversés pour la sécurité des États-Unis ont été incapables de prévenir les attentats du 11 septembre ; personne ne sait si la réorganisation du « Homeland security » représente une amélioration de la prévention du terrorisme. Des incidents graves et qui auraient pu avoir des conséquences effroyables se sont encore produits sur certains longs-courriers. Les zones portuaires ne sont pas vraiment protégées. Et pendant que les passagers ôtent leurs chaussures et leurs ceintures aux portiques de sécurité, des terroristes du désert enlèvent les salariés d’Areva au Niger. Absurdité des contre-mesures et danger mortel permanent. En Chine, l’atelier du monde, le pouvoir a organisé, au moment du SRAS, la loi du silence la plus dangereuse et la plus bête. L’Iran et la Corée du Nord nous narguent avec leurs bombes et leurs missiles. La paix reste impossible au Moyen-Orient, dix-sept ans après les accords d’Oslo.
Le problème, c’est la corruption.
Tous ces événements sont moins importants, en définitive, que ce qui a changé dans notre société à cause de ces malheurs ou grâce aux progrès technologiques. On déplore une société de plus en plus individualiste, mais le vrai danger, c’est la généralisation de la corruption. Celle qu’entraîne la cupidité, avec la folie, l’irresponsabilité et l’arrogance des banques ; celle du langage qui, en France, devient un jargon composé d’onomatopées et de grognements ; celle des « valeurs » qui nous conduit à encenser des talents relatifs et à ignorer des créations plus fortes mais plus subtiles ; celle des jugements, exaltés ou excessifs parce que ce qui n’est pas souligné d’un trait épais devient invisible ; celle du système politique où le mensonge est asséné comme une vérité et la vérité mise sous le boisseau ; celle des manières, qui a transformé le débat public en combat au corps-à-corps où l’on cherche moins à démontrer sa thèse qu’à avoir la peau du contradicteur ; celle du système de pensée, simplifié à l’extrême par le politiquement correct qui a depuis longtemps remplacé l’indispensable lucidité par la confiscation de la bonne conscience : j’ai raison parce que je suis pour les pauvres, contre les riches, parce que je suis généreux et que mon adversaire est égoïste, parce que j’ai une éthique que l’autre forcément n’a pas, parce que je baigne dans la charité chrétienne et l’autre dans la défense des privilèges ; celle du progrès qui met les prodigieuses avancées d’Internet au service du vol de documents, ou au service des pires instincts, de la pornographie à la pédophilie.
Peut-être que l’invention de la décennie est néanmoins la transparence. Nous avons tous été transformés en voyeurs contraints : nous ne pouvons pas échapper à l’observation des crimes, parfois commis massivement par des institutions, de l’Eglise aux banques, de certains gouvernements à certaines entreprises. Non seulement délinquants ou criminels n’échappent plus au regard des médias qui nous envoient leurs turpitudes jusque dans nos foyers, mais il y a des chefs de gouvernement ou d’État, et pas seulement dans les contrées relativement éloignées de la dictature, qui se font un plaisir, comme Silvio Berlusconi, de décrire leurs propres tares. Parfois ces fameuses valeurs, dont tous les orateurs se gargarisent, ne sont pas seulement corrompues. Elles sont inversées.
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