À l’heure où les Français se montrent de plus en plus préoccupés par leur possibilité d’accès aux soins, et plus largement sur l’état de la santé publique, la plainte déposée par le Conseil national de l’Ordre des médecins, (CNOM) pour « exercice illégal de la médecine » n’est pas seulement injuste mais apparaît tout simplement comme indécente, si ce n’est scandaleuse.
Car la plainte du CNOM contre Giphar ne vise pas, en fait, les seules officines du groupement coopératif des pharmaciens mais bien toute la profession. C’est la volonté forte et marquée de porter le discrédit sur des professionnels et de remettre en cause le rôle du pharmacien qui reste aujourd’hui, qu’on le veuille ou non, le plus en proximité avec les Français, dans leur démarche et leur parcours de santé.
La charge de l’Ordre des médecins contre les pharmaciens ne fait pas dans la demi-mesure. La plainte accuse en effet des pharmaciens d’avoir exercé illégalement la profession de médecin « sur l’ensemble du territoire… en affirmant soigner… un ensemble de pathologies généralement banales et bénignes… et en s’engageant à conseiller un traitement personnalisé, préciser une posologie adaptée, contrôler l’absence de contre-indication, éviter toutes interactions médicamenteuses, procédant ainsi - accuse encore la plainte du CNOM - à un interrogatoire médical… plaçant… (le pharmacien)… dans une position praticienne ».
De quoi s’agit-il en fait ? De ce que vivent quotidiennement les pharmaciens : un client qui pousse la porte de l’officine se plaignant d’un mal de gorge, d’un rhume, d’une toux ou de toute autre affection courante et bénigne, comme le précise la plainte, et qui demande tel ou tel médicament pouvant être délivré sans ordonnance.
On peut le regretter ou s’en féliciter, mais l’automédication, dans notre pays, comme dans beaucoup d’autres, aujourd’hui, progresse… Le CNOM feint-il de l’ignorer pour engager contre notre profession une démarche aussi belliqueuse, et tenter ainsi de s’opposer au rôle renforcé du pharmacien, dans le dispositif de santé publique qui évolue ?
Le livre blanc publié par le Conseil national de l’Ordre des pharmaciens (1) ne faisait pas d’autre constat, soulignant cette propension forte des patients à l’automédication, précisant : « C’est l’expression de la volonté d’un patient de se prendre en charge lui-même pour soigner l’affection courante dont il souffre, affection qu’il a lui même identifiée et qu’il entend soigner par un traitement qu’il connaît, qu’il croit connaître ou qu’il recherche. Cette décision du patient, poursuit le livre blanc, doit être prise en considération : les patients sont, pour une bonne part, de mieux en mieux informés. Le fait de se sentir responsable de soi et de vouloir se prendre en mains est un comportement essentiel dans un État moderne et démocratique. »
Par ailleurs des dispositions législatives et jurisprudentielles, des mesures nombreuses prises par le gouvernement, notamment sur le déremboursement, mais aussi par Bruxelles, sans compter les menaces économiques et concurrentielles exercées tant par des prédateurs financiers que par la grande distribution, conduisent à banaliser le médicament et à le mettre en accès libre.
Dès lors, les actions se conjuguant, le pharmacien est de plus en plus souvent placé dans la position de devoir mettre à la disposition du client venu à l’officine les informations et les conseils nécessaires au bon usage du médicament.
Mais, honnêtement, à qui voudrait-on faire croire que le pharmacien chercherait aujourd’hui à se substituer au médecin alors que, plusieurs fois par jour, il conseille au client d’aller consulter ?
Encore une fois, c’est aller à contre-courant de la réalité quotidienne et de la législation que de vouloir minimiser ou caricaturer le rôle du pharmacien en cherchant à limiter son action à celui d’un magasinier ou d’un simple épicier !
C’est justement l’une des valeurs essentielles de la pharmacie d’officine que d’assurer la pérennité de sa mission de santé publique. Une mission rendue de plus en plus difficile par l’avancée du désert médical, dans plusieurs régions, qui conduit très fréquemment les clients à pousser la porte de la pharmacie, sans avoir pu consulter.
La loi HPST du 21 juillet 2009, doit d’ailleurs conduire à renforcer le rôle du pharmacien dans le parcours de santé des patients. Elle reconnaît même aux pharmaciens d’officine des missions nouvelles comme la permanence des soins, l’accompagnement et l’éducation thérapeutique des patients, la contribution aux soins de premiers recours qui comprend, selon la loi : la prévention, le dépistage, le diagnostic, le traitement et le suivi des patients, la dispensation et l’administration des médicaments, de produits et de dispositifs médicaux ainsi que le conseil pharmaceutique, l’orientation dans le système de soin et le secteur médico-social, enfin, l’éducation pour la santé.
Dans un document visionnaire, l’OMS proposait même d’étendre le rôle du pharmacien : « Les pharmaciens devraient quitter leur comptoir et aller servir le public en lui proposant des soins plutôt que de simples produits. Il n’y a pas d’avenir si l’on se limite à la dispensation. » (2)
Ainsi le conseil pharmaceutique n’est pas dirigé vers la seule dispensation de prescriptions médicales aux patients. Il est, en l’espèce, sans doute utile et nécessaire de rappeler à l’Ordre des médecins que le pharmacien est toujours pleinement et conjointement responsable, avec le médecin prescripteur, en cas d’erreurs de prescription. Celles-ci, malheureusement, et nombre de pharmaciens pourraient en témoigner, ne sont pas rares, mais toujours traitées par les pharmaciens avec tact et dans un esprit confraternel.
C’est la raison pour laquelle, je le redis, l’accusation portée aujourd’hui contre les pharmaciens est non seulement injuste, mais indécente.
La question de santé publique est aujourd’hui si prégnante dans notre société que l’heure n’est pas à l’affrontement mais bien davantage à l’union de nos efforts. Ensemble, médecins et pharmaciens, nous devons continuer à travailler main dans la main, dans la reconnaissance de l’autre, le respect de chacun et la confiance pour que gagne la santé.
En réponse à l’accusation portée contre nous, et dans un souci d’apaisement, c’est le vœu que forment les pharmaciens.
(2) « Developing pharmacy practice : a focus on patient care ». OMS en collaboration avec la Fédération internationale pharmaceutique.
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