Il y a un an, au moment où la ministre de la Santé de l’époque, Agnès Buzyn, présentait sa feuille de route pour lutter contre les pénuries de médicaments dans les locaux du Conseil national de l’Ordre des pharmaciens, le président de la section A, Pierre Bèguerie, insistait sur l’implication sans faille des confrères : « Nous n’avons jamais laissé un patient sans solution ! » Mais cela ne se fait pas sans mal. Le temps passé à gérer les ruptures de stock ne cesse d’augmenter, tout comme le nombre de tensions et de ruptures d’approvisionnement enregistrées chaque année par l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM).
En février dernier, le GERS a mis en place un baromètre des ruptures hebdomadaires pour les médicaments remboursables, réalisé sur la base du « Sell in GERS » qui intègre 100 % des officines et du « Sell Out GERS » et son panel de plus de 10 000 officines. « Un produit est considéré en rupture lorsque la totalité des officines en France ne réalise aucun achat d’une présentation d’un médicament pendant une semaine et que dans le même temps la totalité des pharmacies du panel ne délivre aucune boîte de la même présentation à un patient », explique Patrick Oscar, directeur général de GERS SAS et délégué général du GIE GERS.
Appel à témoignages
La mise en place de ce baromètre, moins d’un mois avant le confinement, a permis une observation édifiante. « On constate qu’avant confinement, les médicaments en rupture représentaient 10 à 12 % de l’ensemble des références, un taux qui a augmenté à 14-18 % pendant le confinement, pour revenir à une proportion d’avant confinement en juin », note Patrick Oscar. Pour le spécialiste, ces pénuries s’expliquent avant tout par la panique qui a poussé les patients sous traitement chronique à s’approvisionner et surstocker dès qu’ils ont entendu parler de confinement, et par l’engouement pour certains produits présentés comme incontournables en cas de Covid-19 ou pour mieux s’en protéger. « On constate aussi que les ruptures touchent principalement les médicaments du répertoire (71 %). » En outre, le baromètre rupture suit les médicaments problématiques en cas de pénurie car sans équivalent thérapeutique : avant confinement, 0,6 à 0,7 % sont en rupture, 1,7 à 1,8 % pendant le confinement, pour revenir à un taux de 0,9 % la dernière semaine d'août. « Globalement, la France ne s’en sort pas mal, les ruptures sur des produits sans équivalent y sont très faibles et a priori sur des durées assez courtes », souligne Patrick Oscar.
Pourtant, la Ligue contre le cancer a lancé lundi une campagne pour communiquer sur l’aggravation des pénuries d’anticancéreux et en faire une priorité car elles « compromettent la guérison » et « concernent tous les types de cancer, même pédiatriques ». Cette campagne place le patient au centre, avec le slogan « Cher patient, pour votre médicament, merci de patienter » et mise sur l’incitation à témoigner des pénuries subies sur une plateforme Internet : penuries.ligue-cancer.net. D’après une enquête de la Ligue menée par IPSOS fin 2019, 74 % des professionnels de santé ont déjà été confrontés à des pénuries de médicaments contre le cancer et ont le sentiment que la situation s’aggrave.
Stockage de sécurité
La Ligue demande aux pouvoirs publics de recenser de façon systématique toutes les personnes « qui n’ont pas eu accès au médicament prescrit en premier lieu » et réclame un système d’information sur les pénuries de médicaments à destination des professionnels de santé, pour qu’ils soient mieux informés quant à l’origine, la durée et l’historique de ces pénuries. Elle souhaite également que soient menées des études indépendantes pour mesurer les pertes de chances causées par les pénuries. Elle exige enfin « des dispositions réglementaires sur les pénuries et des sanctions financières en cas de non-respect de ces dernières ».
Une manière de rappeler que la constitution de stocks de sécurité est une obligation des industriels depuis décembre 2019, bien qu’il manque un décret d’application. Le groupe interassociatif Traitements et recherche thérapeutique TRT5 CHV, lui, pointe clairement la responsabilité de l’industrie pharmaceutique, dont « les intérêts (…) priment sur la santé des usagers ». Vendredi dernier, le groupe déplorait que « les dispositions retenues après arbitrage gouvernemental » pour le futur décret soient « inapplicables et inefficaces » et réclamait en particulier de revenir sur l'abaissement de la durée de stockage des médicaments d’intérêt thérapeutique majeur (MITM) de 4 à 2 mois.
Réflexe protectionniste
Des déclarations qui ont poussé l’organisation professionnelle des entreprises du médicament (LEEM) à prendre la parole lundi dernier, en rappelant que ces MITM représentent la moitié des 15 000 spécialités pharmaceutiques commercialisées en France : « En conséquence, une obligation de stockage de 4 mois pour l’ensemble de ces produits est matériellement irréalisable. » D’autant que certains de ces médicaments sont anciens, à prix encadrés très bas et parfois non rentables. Un allongement de la durée de stockage de sécurité pousserait des fournisseurs à les retirer du marché, ce qui aggraverait les ruptures d’approvisionnement. Soulignant que la crise du Covid-19 a montré qu’il était essentiel que les médicaments puissent circuler « pour couvrir les besoins des patients là où ils se trouvent », le LEEM se dit favorable à la constitution de stock de sécurité pour les médicaments les plus indispensables mais il s’oppose « à tout réflexe protectionniste qui, s’il s’étendait à l’échelle planétaire, priverait l’ensemble des patients de l’accès aux traitements dont ils ont besoin ».
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