Sur les groupes Facebook dédiés aux pharmaciens, il ne se passe pas une semaine sans qu'un titulaire n'indique être à la recherche d'un nouveau collaborateur. Selon une enquête publiée le 5 avril par Pôle emploi, la pharmacie est le 3e secteur qui a le plus de mal à recruter (83 % des recrutements y sont jugés difficiles), juste derrière les couvreurs et les aides à domicile/aides ménagères (si l'on ne prend en compte que les professions comptabilisant au moins 5 000 intentions d'embauche). Selon cette même étude, 7 500 emplois restent à pourvoir en pharmacie.
« Les raisons qui expliquent les difficultés de recrutement dans le secteur de l'officine sont multifactorielles », indique premièrement Olivier Clarhaut, secrétaire fédéral de la branche officine du syndicat Force Ouvrière (FO). « Plusieurs enquêtes ont mis à jour le manque d'attractivité du métier et des carrières, avec des salaires insuffisants, un manque de perspectives d'évolution, une reconnaissance insuffisante des compétences, sans oublier la question des horaires », liste-t-il.
« S'il y a des difficultés pour recruter c'est parce que l'on manque de candidats mais aussi parce qu'une partie d'entre eux s'est dirigée vers les activités Covid », précise de son côté Philippe Denry, vice-président de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF). « Un nombre important de diplômés, mais aussi de préparateurs, a été aspiré par les centres de vaccination et de dépistage. On leur a proposé des rémunérations très avantageuses par rapport à ce que perçoit un adjoint qui exerce en officine. Ils pouvaient gagner davantage en se consacrant à ses activités à temps partiel qu'avec un emploi d'adjoint à temps plein », rappelle-t-il.
Miser sur la réforme de la 6e année de pharmacie
La pénurie de main-d’œuvre s'explique aussi par un nombre insuffisant de diplômés au cours des dernières années. « Dans la filière pharmacie, des facs ne formaient plus que 70 à 80 diplômés par an il y a 4 ou 5 ans, contre 120 ou 130 quelques années auparavant. On sait que l'on devra faire face à une pénurie d'adjoints pendant les 3 ou 4 prochaines années », estime Philippe Denry. « Globalement, sur les dernières années, le nombre d'étudiants diplômés en pharmacie bouge assez peu, par contre il y avait en effet une désaffection pour la filière officine. Il y a un creux depuis deux ans mais on constate avec l'évolution du métier que l'appétence pour l'officine remonte tout doucement. Le nombre de diplômés avec spécialisation officine devrait remonter d'ici à 3 ou 4 ans, avec notamment l'effet de la réforme de la 6e année », ajoute le vice-président de la FSPF.
Philippe Denry rappelle par ailleurs que les tensions sur le recrutement ne touchent pas toutes les officines au même niveau. « Il y a de fortes disparités régionales, on ne constate pas de pénurie d'adjoints dans le sud de la France ou dans les grandes villes. En revanche, la situation est tendue pour les pharmacies rurales ou semi-rurales. Pourtant, pour un jeune pharmacien, le métier y est souvent plus intéressant, il y a davantage de responsabilités que si l'on exerce dans une pharmacie de centre commercial par exemple. On peut y développer plus de services et les officinaux y sont davantage perçus comme des professionnels de santé à part entière. On espère qu'avec la réforme de la 6e année, il y aura une obligation de stage dans les territoires ruraux ou semi-ruraux pour que les étudiants, qui dans la majeure partie des cas font leur stage près de leur université, puissent aller se former dans ces régions et peut-être avoir l'envie de s'y installer ensuite. »
Tirer les leçons de la crise sanitaire
Si quelques années seront nécessaires avant de voir les effets concrets de ces réformes, les conséquences de la crise sanitaire sur l'emploi en pharmacie, elles, sont déjà perceptibles. Si certains salariés de l'officine ont pu apprécier de se voir confier des responsabilités importantes, d'autres ont vécu cette période beaucoup plus difficilement. « En se basant sur les retours du terrain, on observe une accélération du nombre de démissions, souligne Olivier Clarhaut. On ne peut parler de raz-de-marée de départs mais nous sommes souvent contactés par des salariés qui évoquent une dégradation de leurs conditions de travail. Si le comportement de certains employeurs en est parfois la cause, on ne peut pas non plus dire qu'ils sont à 100 % responsables, il faut tenir compte du contexte Covid. Cette maladie et les restrictions qui l'ont accompagné ont constitué un terrain de fragilisation, tant psychologique que morale, chez de nombreux citoyens », souligne le secrétaire de FO.
« Sur l'officine plus spécifiquement, on a bien vu que des décisions avaient été prises sans concerter les professionnels de santé. La politique sanitaire a parfois été erratique lorsqu'il a fallu tester du jour au lendemain tous les enfants scolarisés cas contact et que les pharmacies se sont retrouvées submergées. De nombreux salariés qui se plaignent de leurs conditions de travail n'envisagent pas juste de changer d'entreprise, ils souhaitent quitter la profession, leur vocation a été remise en cause. La possibilité que ce mouvement s'accélère maintenant que la crise Covid commence à être derrière nous n'est pas à négliger non plus », alerte Olivier Clarhaut. Pour ce dernier, les employeurs ont peut-être une réflexion à mener s'ils sont confrontés à des difficultés pour recruter. « Dans un autre secteur qui se trouve dans la même situation, la restauration, on voit que le patronat commence à adapter les conditions de travail pour trouver du personnel. Le patronat de l'officine ferait bien de s'en inspirer », estime-t-il.
S'impliquer dans la formation
Parmi les mesures récemment mises en place pour favoriser l'emploi en officine, il y a bien sûr eu la prime de 8 000 euros versée aux employeurs pour recruter des apprentis. Pour Philippe Denry, ce dispositif a fait ses preuves. « Depuis sa mise en place, le nombre d'apprentis a augmenté de 15 à 20 % dans la branche. Ce dispositif doit s'arrêter au 30 juin et pour l'après nous n'avons aucune certitude. Va-t-elle rester en l'état ou revenir au niveau d'avant ? Comme nous n'en savons rien aujourd'hui, nous conseillons aux pharmaciens de signer des contrats d'apprentissage avant le 30 juin, cela est possible même avec des jeunes qui n'ont pas encore eu leur Bac », explique Philippe Denry.
Développer l'alternance, c'est aussi une option à privilégier selon Olivier Clarhaut. « Pour les adjoints, le problème vient de la formation initiale à l'université, en revanche pour les préparateurs, la situation serait peut-être meilleure si davantage de pharmaciens s'étaient impliqués dans l'alternance. On préfère toujours embaucher un préparateur fraîchement diplômé mais ces derniers ne sortent pas de terre, il faut bien les former. Avec la prime accordée aux apprentis depuis deux ans la situation s'est un peu améliorée mais cela s'est aussi accompagné de certains effets pervers. Des pharmaciens ont embauché n'importe qui, n'importe comment, ce que l'on voyait moins auparavant. Si cela doit juste servir à recruter de petites mains, puis à les remplacer par d'autres, ce n'est pas la peine. »
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