Entre les médicaments innovants disponibles directement à l’officine et les sorties de la réserve hospitalière, constantes année après année, les pharmaciens font face à une recrudescence de traitements à prix élevés. Le coup de gueule de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France du Haut-Rhin (FSPF 67) à la mi-juin a braqué les projecteurs sur ce phénomène. Regrettant que certains laboratoires imposent des commandes en direct pour les médicaments de plus de 3 000 euros (prix fabricant hors taxe), le syndicat pointe les procédures non harmonisées et parfois lourdes pour passer commande, ainsi que le délai d’approvisionnement, entre 24 et 72 heures, sans livraison possible le samedi, sous réserve qu’il n’y ait pas de problème avec le transporteur. Sans compter que les laboratoires refusent systématiquement la reprise du médicament si la délivrance n’a finalement pas lieu.
« Sur les 99 références de plus de 3 000 euros disponibles en ville, 36 d’entre elles sont disponibles uniquement en commande directe auprès du laboratoire. Cela représente un volume de 148 000 unités. C’est 36 % de plus que l’an dernier », avance le délégué général de la Chambre syndicale de la répartition pharmaceutique (CSRP), Emmanuel Déchin. « Ce qui est perturbant c'est cette tendance à la hausse, même si en termes de volume cela reste limité. C'est avant tout un problème de santé publique. On m'a rapporté un dysfonctionnement survenu en outre-mer : après une commande d'un médicament contre la mucoviscidose disponible exclusivement en direct, le médicament s'est perdu, la livraison a pris deux ou trois semaines. » Une aberration quand on connaît les obligations de service public des grossistes-répartiteurs, comme référencer les 9/10e de la pharmacopée et livrer les officines dans les 24 heures… Mais, tout comme le souligne Philippe Besset, président de la FSPF, Emmanuel Déchin rappelle que « le cadre juridique actuel ne permet pas d’imposer aux laboratoires de passer par les grossistes-répartiteurs ».
En progression constante
À partir de quel niveau de prix considère-t-on un médicament comme onéreux ? Les pharmaciens se basent sur la dernière marche de la marge dégressive lissée qui est passée progressivement de 1 500 euros à 1 930 euros entre 2017 et 2020, et dont la marge est nulle. Les grossistes-répartiteurs partent d'une base de prix moins élevée, puisque c'est au-delà de 468,97 euros la boîte que leur marge est égale à zéro. Or, relève la CSRP, entre 2015 et 2021, pour les médicaments d'au moins 500 euros vendus à 100 % en direct par le laboratoire, le nombre de références est passé de 24 à 97, le nombre de boîtes vendues de 344000 à 966000, et la perte de marge pour la répartition de 11 millions à 31,4 millions d'euros. « Sur ces trois items, la progression est quasiment constante depuis 2015 », précise Emmanuel Déchin. En lien avec l'arrivée tout aussi constante de médicaments chers à l'officine.
Ainsi, les sorties de la réserve hospitalière se poursuivent. Selon David Syr, directeur général adjoint de GERS Data, six nouvelles marques ont rejoint les tiroirs officinaux l'an dernier : Entyvio (766 euros en prix public), Hemlibra (entre 2 500 et 12 000 euros selon la présentation), Rukobia (près de 3 400 euros), Takhzyro (plus de 11 850 euros), Talzenna (entre 1 430 et 4 140 euros) et Waylivra (10 853 euros). « Le chiffre d'affaires de ces six spécialités en cumul mobile annuel arrêté à avril 2022 s'élève à plus de 160 millions d'euros à l'officine », remarque David Syr. Pour 2022, deux traitements sont sortis de la réserve hospitalière pour le moment : Evrysdi (9 200 euros en prix public) et Xospatha (près de 16 000 euros).
Plus globalement, le nombre de médicaments de plus de 1 930 euros disponibles en pharmacie ne cesse d'augmenter. « En 2017, on comptait 65 références pour 36 marques. À mai 2022, il y a désormais 168 références pour 77 marques. À cette date sur un an, le volume des unités vendues à l'officine représente 0,05 % du volume total des médicaments vendus pour un chiffre d'affaires de 4,3 milliards d'euros (versus 1,2 milliard d'euros en 2017) », ajoute David Syr. Quant au prix moyen de ces médicaments, il s'élève à 6 251 euros (PFHT) à mai 2022, mais à 3 760 euros une fois pondéré par les volumes. « C'est logique, les négociations entre le laboratoire et le Comité économique des produits de santé (CEPS) tiennent compte du nombre de patients concernés par un traitement. »
Un chiffre d'affaires volatil
Éclaircie au tableau : le retrait depuis cette année de la part des médicaments au-delà de 1 930 euros dans le chiffre d’affaires à déclarer à l'ARS. Alors que la déclaration annuelle du chiffre d'affaires s'opère traditionnellement jusqu'à fin juin, les pharmaciens bénéficient cette année d'un délai jusqu'en septembre. Le temps que certains éditeurs de logiciels rendent opérables les fonctionnalités nécessaires à l'application de la formule d'extraction. Et à la production des pièces comptables justificatives dans le cadre d'une déclaration officielle. « Les LGO doivent sortir des chiffres opposables et engagent par là même leur responsabilité », explique Julien Chauvin, président de la commission Études et stratégie économiques de la FSPF. Car, ajoute-t-il, « nous serions incapables de rechercher ce chiffre manuellement puisqu'il faudrait jongler sur la base de données entre prix fabricant et prix grossiste ».
La manipulation en vaut la peine. Jusqu'à présent l'intégration des médicaments chers gonflait artificiellement le chiffre d'affaires opposable pour le calcul du nombre de pharmaciens et des titulaires se retrouvaient dans l'obligation d'embaucher un adjoint supplémentaire pour avoir pris en charge deux patients dont la pathologie exige la dispensation d'un médicament onéreux. Une situation qui pouvait rapidement basculer avec le déménagement ou le décès d'un patient.
100 000 unités mensuelles
D'autant que le chiffre d'affaires réalisé par la vente de médicaments chers ne se traduit pas dans la marge, celle-ci étant plafonnée à 97,63 euros. Il n'en reste pas moins que le médicament cher se taille une part croissante dans l'activité officinale. Selon les estimations, les produits d'un prix de vente supérieur à 1 930 euros représentaient, en avril 2022, 16,25 % du chiffre d'affaires et 8,24 % de la marge administrée, en moyenne. Un an plus tôt, ils ne composaient que 13,45 % du chiffre d'affaires et 6,95 % de la marge.
Deux facteurs sont liés à ce phénomène. L'effet volume tout d'abord puisque 100 000 unités de ces médicaments chers ont été délivrées par le réseau en avril 2022, contre 83 000 en avril 2021. L'effet prix ensuite puisque si celui-ci se situe entre 2 000 et 5 000 euros en moyenne, des pointes sont observées à plus de 10 000 euros. C'est le cas de l'association des médicaments Kaftrio et Kalydeco, un traitement révolutionnaire de la mucoviscidose qui coûte plus de 15 000 euros par mois. Il suffit d'avoir deux personnes concernées pour que le chiffre d'affaires annuel grimpe de 360 000 euros, remarque Julien Chauvin. « C'est dire, insiste-t-il, si le chiffre d'affaires, aujourd'hui, ne veut plus rien dire. »
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