L'épigénétique s'intéresse à la façon dont les gènes sont utilisés (ou pas) par une cellule.
Elle étudie les changements dans l'activité des gènes qui n'engendrent pas de modification de la séquence d'ADN. Les modifications épigénétiques sont intimement liées à l'environnement : alimentation, tabagisme, stress, consommation de stupéfiants… Elles se concrétisent par des marques biochimiques apposées par des enzymes sur l'ADN ou sur les histones (protéines qui enveloppent cet ADN dans la chromatine). Les groupements méthyle (1) apposés sur l’ADN et les différentes modifications chimiques des histones (méthylation, acétylation…) sont les marques épigénétiques les mieux caractérisées. Des études convergentes établissent que les enfants issus de parents fumeurs de cannabis ont, à l'adolescence, une plus grande vulnérabilité aux drogues. Pendant longtemps, les explications suivantes prévalaient : éducation sans prévention, mimétisme parental ou encore, accès plus facile aux drogues trouvées au sein même du foyer familial. Aujourd'hui, des études axées sur l'épigénétique du cannabis apportent de nouvelles réponses.
Une sous-expression des récepteurs dopaminergiques
Des travaux menés en 2011 (2) auprès de femmes enceintes consommant du cannabis et ayant avorté autour de la 20e semaine de gestation ont permis d'étudier le noyau accumbens (striatum ventral) (3) de ces fœtus où se projettent des neurones dopaminergiques jouant un rôle important dans le système de récompense. « Il a été montré une baisse du taux d'ARN messager (ARNm), expression du gène codant les récepteurs dopaminergiques D2, et donc, une diminution des récepteurs D2 », indique le Pr Jean Costentin, membre de l'Académie nationale de Pharmacie. Des transpositions de cette étude ont été effectuées chez des rates gestantes qui ont reçu du THC. Les mêmes conséquences ont été trouvées chez leur progéniture, à deux âges différents.
Par ailleurs, des effets similaires sont constatés lorsque l'exposition au cannabis précède le moment de la conception (4). « Il n'est pas de plaisir que nous ressentions qui ne procède d'une augmentation de la stimulation des récepteurs D2 dans le striatum ventral », souligne le Pr Costentin. Ces rats ou ces humains qui ont la malchance d'hériter – à cause de l'exposition de leur mère pendant la gestation ou de leurs parents, avant la conception - de cette raréfaction de leurs récepteurs dopaminergiques D2 accumbiques n'éprouvent donc pas le même niveau de plaisir que leurs congénères. « Le fait de consommer de la drogue (n'importe laquelle) a pour effet d'intensifier la transmission dopaminergique et de pallier cette sous-expression des récepteurs D2. Cela explique, la propension redoublée de ces adolescents à consommer des drogues », explique le Pr Costentin.
Une modification du méthylome des spermatozoïdes
Autre constat plus récent (5) : le fait de consommer du cannabis et son THC modifie le méthylome des spermatozoïdes, en l'occurrence le taux de méthylation, donc de l'ADN. Cela a des conséquences sur l'expression des récepteurs CB1, de certains récepteurs du glutamate et de protéines impliquées dans la plasticité synaptique. Cela engendre ainsi des effets délétères sur les performances cognitives, le système immunitaire, la maturation cérébrale et peut déboucher sur des affections psychiatriques telles que l'autisme et la schizophrénie. « Une étude plus récente (6) montre que la consommation d'un joint par semaine pendant 6 mois produit des modifications du méthylome de l'ADN des spermatozoïdes, dont celui correspondant au gène de la protéine DGLAP2, impliquée dans l'autisme et la schizophrénie », relate le Pr Costentin. Enfin, très récemment, une étude mettant en jeu différents marqueurs a montré que le fait d'avoir consommé du cannabis modifie ces derniers et conduit à un accroissement des effets appétitifs (dits « de récompense ») de la cocaïne et, ainsi, de son pouvoir d'accrochage ; substratum neurobiologique de l’escalade conduisant aux polytoxicomanies.
(1) un atome de carbone et trois d’hydrogène.
(2) J. DiNieri et al, Biol. Psychiatry, 2011.
(3) Le noyau accumbens est une structure du cerveau située à la partie inférieure du striatum, (noyau caudé et putamen) d’où son autre nom de « striatum ventral ».
(4) H. Szutorisz et al, Neuropsychopharmacol, 2014.
(5) C. Watson et al, Neuropsychopharmacol, 2015.
(6) Scherma M. et al, PNAS 18, 9991-10002.
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