Un test sanguin pour mieux caractériser les pathologies psychiatriques en se basant sur la médecine de précision ? C’était le pari de la société Alcediag en lançant sur le marché français début avril son test Edit-B, censé distinguer sans ambiguïté la dépression caractérisée et le trouble bipolaire. Avec un prix de vente de 900 euros, elle espérait obtenir de la Haute Autorité de santé (HAS) une prise en charge dérogatoire pour les patients âgés de 18 ans et plus, présentant un épisode dépressif majeur et traités pour cette dépression au moment du test. Mais le collège de la HAS a rendu un avis défavorable le 2 mai : au regard des études présentées, il n’apporte pas « un bénéfice clinique important permettant de satisfaire un besoin médical insuffisamment couvert » et ne peut être considéré comme « innovant ».
L’intérêt de distinguer les troubles bipolaires de la dépression caractérisée est d’adapter les traitements. « Un patient bipolaire sera sous thymorégulateurs ; des antidépresseurs peuvent y être associés, mais la base reste les stabilisateurs de l’humeur. Un patient avec des troubles dépressifs aura plutôt des antidépresseurs au long cours. Le problème, en cas d’erreur diagnostique : les antidépresseurs au long cours sans thymorégulateur peuvent aggraver la pathologie bipolaire, et notamment provoquer un virage de l’humeur », expliquait au « Quotidien » la Pr Chantal Henry, psychiatre au GHU Paris psychiatrie et neurosciences et investigatrice d’une étude clinique à venir. Le test Edit-B se veut le premier à apporter une confirmation par des biomarqueurs (et à l’aide de l’intelligence artificielle), au-delà de l’entretien clinique, socle du diagnostic aujourd’hui.
« Ce test présente un caractère de nouveauté car il repose sur l’identification de biomarqueurs présentant des distinctions notables entre les patients atteints de troubles bipolaires et ceux atteints de dépression unipolaire », reconnaît la HAS, confirmant qu’il n’existe « à ce jour aucun test d’aide au diagnostic différentiel basé sur des marqueurs biologiques qui soit validé, utilisé en clinique, ou à un stade de développement aussi avancé que le test Edit-B ». Les risques pour le patient, liés à la prise de sang, sont jugés minimes.
Des études aux limites trop importantes
Mais les études actuellement disponibles présentent trop de limites pour établir un bénéfice clinique important, cingle le collège, sur la base d’une argumentation en trois temps. D’abord, l’unique étude publiée repose sur un ancien algorithme associé au test, aujourd’hui abandonné. Puis les études relatives aux performances diagnostiques de l’algorithme actuel « ne sont ni publiées, ni inscrites sur le site internet ClinicalTrials. gov1 ». Enfin, une étude en cours va tester trois signatures différentes du test afin d’évaluer la plus performante : « cette étude questionne quant à la version de l’algorithme associé au test Edit qui sera effectivement utilisée », lit-on.
« Les données cliniques disponibles à ce stade n’apportent pas de preuves suffisamment solides permettant d’attester que l’algorithme associé au test Edit-B, dans la version faisant l’objet de la demande, est validé, notamment en ce qui concerne ses performances diagnostiques. Ces données sont insuffisantes pour considérer qu’une étude d’utilité clinique puisse être engagée sur une population de patients », résume la HAS.
Dès le 28 mars, peu après l’annonce de la commercialisation en France d’Edit-B, l’Association française de psychiatrie biologique et neuropsychopharmacologie (AFPBN) appelait à la prudence. « À ce jour, aucun test ne remplit les conditions pour un usage en pratique clinique. L’AFPBN ne recommande pas la prescription de tests diagnostiques en psychiatrie en l’état actuel des connaissances », écrivait-elle dans un communiqué. Et de rappeler les critères selon lesquels un tel test pourrait être pertinent, dont la déclaration des protocoles de recherches dans un registre d’essais cliniques comme ClinicalTrials.gov ; la validation des résultats dans au moins deux études cliniques ou cohortes indépendantes ; leur fiabilité et robustesse, et répétabilité ; une sensibilité et spécificité satisfaisantes, ou encore un coût éthiquement responsable.
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