« C’est une révolte ? Non Sire, c’est une Révolution », aurait répondu le Duc de la Rochefoucaud-Liancourt à Louis XVI le 14 juillet 1789. En 2022, le monde de la santé en France a démarré une autre révolution : pas politique, mais numérique. Pour les professionnels de santé, il s'agit d'une opportunité inédite d'amélioration des pratiques, avec comme maître mots sécurité et fiabilité.
Un espace numérique ordonné.
Premiers concernés, les assurés sociaux ont découvert leur espace santé numérique en 2022. Un espace vierge pour y déposer leurs données de santé, qu'elles soient d'ordre administratif, médical ou pharmaceutique. Mais attention, pas question de refaire les erreurs du dossier médical partagé : « Mon espace santé » ne doit pas être un fourre-tout sans foi ni loi. Il a été conçu pour réaliser un archivage intelligent et exploitable des données de santé, qu’elles proviennent du patient ou des professionnels soignants. Ordonnances, résultats de biologie et d’imagerie médicale, antécédents médicaux… tous ces éléments peuvent être stockés dans des rubriques préformatées. Et l’ENS de devenir dès à présent un outil de renseignement promu par l’ANSM (Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé) elle-même ; pour la première fois, lors de la suspension des AMM (autorisations de mise sur le marché) de sirops de pholcodine, elle a invité les patients « à inscrire dans Mon espace santé un antécédent d’utilisation d’un antitussif à base de pholcodine ». L’ambition de l’espace numérique santé dépasse le simple archivage des données ; avec des fonctionnalités de messagerie sécurisée, d’agenda médical et avec son catalogue d’applications de santé certifiées, il se veut le compagnon des assurés sociaux. Pour aider les assurés à prendre en main son espace, des médiateurs numériques interviennent dans les maisons France Service réparties sur l’ensemble du territoire.
La dispensation assistée par le numérique.
Dès 2023, ce sera au tour des professionnels de santé (médecins, pharmaciens, hôpitaux) de se frotter à l'ENS et de découvrir toute l'étendue de ses possibilités. L’intégration du module Ségur numérique dans les logiciels métiers va permettre l’interopérabilité entre ces logiciels et Mon espace santé. Autrement dit, quel que soit le logiciel, il pourra communiquer et comprendre les informations stockées dans l'ENS du patient. « À l’issue de cette première vague de déploiement, les professionnels pourront alimenter l’espace numérique santé de leurs patients. Outre le soutien au développement informatique, le budget alloué aux éditeurs de logiciel prévoit l’accompagnement du pharmacien pour la prise en main de ce module », commente Xavier Vitry, directeur de projets à la délégation ministérielle du numérique en santé (DNS), en charge de la Task force Pharmacie d’officine. Parmi les réalisations notables de cette première vague, l’arrivée de la e-carte Vitale et de la e-prescription va sans aucun doute bouleverser les pratiques à l’officine, à plus ou moins longue échéance. « Notre ambition est de faciliter la circulation de l’information brute entre le patient et son professionnel, ou entre les professionnels. Par exemple, avec la e-prescription : lorsque le pharmacien lira le QR code de l'ordonnance présentée par le patient, son logiciel interrogera le service de l'assurance maladie pour récupérer l'ordonnance de façon sécurisée. On pourrait tout à fait imaginer que de façon concomitante, une consultation des éléments médicaux déposés dans l’espace numérique en santé soit réalisée afin de vérifier l’absence d'interaction ou de contre-indication », s’enthousiasme Xavier Vitry.
Apprivoiser l’outil pour renforcer l’intervention pharmaceutique.
Mais comment aider les professionnels à s’approprier et exploiter au maximum cet outil aux performances quasi illimitées ? Car dès 2024, outre l'alimentation du dossier médical, les professionnels de santé pourront consulter les informations déposées dans l’ENS. « On constate une forte demande métier pour accéder à certaines données de santé, dont les résultats de biologie médicale. Mais il va falloir doser ce flux d’information, et sélectionner ce qui est pertinent et important pour éviter le phénomène « trop d’informations tue l’information ». La masse d'informations est telle que sans une assistance informatique et d'intelligence artificielle, l’analyse sera très voire trop complexe pour la seule intelligence humaine. « Ce sera le rôle des éditeurs de proposer des outils d'analyse et d'accompagnement dans la prise décision ; et il y a fort à parier que des assistants intelligents à la dispensation vont être développés à brève échéance », prédit Xavier Vitry. La formation des pharmaciens doit également s’adapter pour apprendre à gérer ces nombreuses données patients. Des échanges sont d'ailleurs prévus entre la DNS et les organismes de formation.
Une autoroute pour échanger d'un professionnel à l'autre.
Autre bouleversement, l’ambitieux chantier du numérique en santé doit fluidifier la communication entre les professionnels de santé. « L’interopérabilité est un soutien majeur à l’interprofessionnalité. L’objectif est de faciliter le partage des interventions à chaque étape du parcours de soins du patient, dont l’intervention pharmaceutique », explique Xavier Vitry. De même, la communication entre l’hôpital et l’ambulatoire devrait être facilitée grâce à l’intégration systématique, dans l’ENS, des lettres de sortie et des documents de liaison. Pour les professions comme les pharmaciens d’officine, qui ont peu l’habitude de documenter leur intervention ou de correspondre par écrit avec les prescripteurs, les conséquences sur la pratique seront d’autant plus marquées.
Ne consulte pas qui veut.
Dès le printemps 2023, toutes les interventions réalisées à l’officine pourront être déposées dans l’ENS, tel qu’un bilan d’entretien pharmaceutique ou une attestation de vaccination. Pour alimenter l’ENS, la seule identification de la pharmacie suffit. En revanche, en cas de consultation des données du patient, la CNIL impose de vérifier l’identité du consultant. À l'officine, cette exigence justifie l’entrée au RPPS+ des préparateurs en pharmacie, dès l'automne.
Petit à petit, les professionnels vont devoir s’approprier l'ENS, et transformer leur pratique pour en tirer un maximum de bénéfices : « on peut légitimement penser qu’il faudra 4 à 5 ans pour intégrer cette nouvelle démarche. Mais je fais le pari qu’après ce temps de prise en main, on aura oublié comment c'était avant ». Alors, une révolte ? Non docteur, c’est une Révolution numérique.
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