Si l’usage de l’IA dans le back-office et dans l’espace de vente diffère peu de celui des autres acteurs de la distribution, le recours aux algorithmes dans leur activité de professionnel de santé place les pharmaciens dans une position inédite. En effet, l’IA, encore peu répandue en médecine de ville, reste l’apanage du milieu hospitalier où les algorithmes trouvent déjà des applications avancées, notamment en radiologie ou en ophtalmologie. L’officinal se place par conséquent à l’avant-garde de l’évolution des soins de ville grâce aux données patients dont il dispose et qui vont lui permettre à la fois d’exercer une approche prédictive des risques et d’identifier les personnes éligibles à certains actes.
Le développement des nouvelles missions ouvre en effet un vaste champ à l’IA. Le groupe Apsara a par exemple intégré à chaque site de pharmacie adhérente un nouveau service de bilan de prévention santé, analysé par une intelligence artificielle médicale. « Cet outil a pour objectif de renforcer le conseil santé du pharmacien et de l’aider à orienter son patient ou de déclencher des entretiens pharmaceutiques personnalisés », précise Gérard Verdure, président du directoire. Partant du constat que le recrutement des patients, souvent qualifié de complexe et de chronophage par les équipes officinales, s’en trouve simplifié et sécurisé, les groupements conçoivent des solutions simples d’accès (sur smartphone et tablettes) et d'utilisation. S’il n’en est encore qu’à la phase de développement de telles fonctionnalités, le groupement Elsie envisage une plateforme intelligente qui, en automatisant certaines tâches comme le partage de l’information, la prise de rendez-vous ou l’orientation des patients, « proposera un parcours plus fluide et permettra aux pharmaciens de se recentrer sur leur cœur de métier avec plus de sécurité, de traçabilité et de conseils prédictifs », comme l’expose Emmanuel Lataste, président d’Elsie.
Une fonction support des nouvelles missions
Cette fonctionnalité est déjà une réalité au sein du groupement Giphar. « Nous avons développé un système capable à partir de l’analyse d’une ordonnance d’émettre des propositions de bilan partagé de médication (BPM), de dépistage, d’entretiens pharmaceutiques », décrit Hubert Carpentier, directeur supply-chain et système d'information de Sogiphar PharmavisionGiphar, précisant que la dizaine d’algorithmes aujourd’hui utilisée se concentre exclusivement sur une approche de huit pathologies. Le groupement « Les pharmaciens associés » a également franchi le pas grâce à son logiciel LEO 2.0 (Astéra) qui intègre une technologie capable de détecter des profils de patients éligibles aux nouvelles missions de santé. « En analysant les données disponibles, LEO 2.0 identifie et propose aux pharmaciens de façon autonome, une liste de patients répondant aux critères de missions telles que les AVK, le bilan partagé de médication… Une façon de faciliter la mission de santé publique du pharmacien », expose Patrick Rémond, directeur des réseaux. Chez Ceido, l’IA est considérée comme une valeur ajoutée qui met à la portée des adhérents et de leurs patients les outils d’une santé personnalisée, grâce « à un interfaçage avec les données liées à l’activité pharmaceutique, bilan de médication, entretiens pharmaceutiques, extrait DP, ordonnances, pharmacovigilance, prévention, dépistage », comme l’énonce Christian-Eric Mauffré, son président.
Une aide à l'observance
En support de la relation patient, l’IA permet également au pharmacien de mieux les accompagner dans le bon usage du médicament. Que ce soit dans la réalisation des bilans partagés de médication ou dans la sécurisation des délivrances. Pour mieux atteindre cet objectif, le groupement well & well a conclu un partenariat avec la société Synapse Medicine, portant sur un assistant virtuel Synapse, au service des adhérents. Grâce à une information médicale fiable et actualisée, « cet outil comprend les questions sur les médicaments dans un contexte clinique donné et est capable d’y répondre à partir des dernières informations à jour. Cette approche vaut également pour les ordonnances complexes et les BPM », indique Didier Maarek, P-DG du groupement. Il n’est pas question de remplacer le LAD classique mais d’aider le pharmacien à gagner en temps et en efficacité.
L’IA constitue un filet de sécurité pour le pharmacien tandis qu’il sera plus difficile désormais pour le patient de passer au travers des mailles. À titre d'exemple, l’offre de dépistage peut être systématisée par un profilage optimisé des patients. Même si elle relève pour l’heure essentiellement de la prospection, cette fonctionnalité n’en est pas moins envisagée par nombre de groupements. C’est le cas chez Aelia où la collecte des données, via des supports numériques, devrait être possible, « grâce à l’interprétation d’algorithmes d’aide au dépistage et au diagnostic de pathologies, par l’identification de facteurs de risques propres à chaque patient ». Le groupement Lafayette, de son côté, étudie actuellement avec deux laboratoires leader de leur marché « la mise en place d’outils de profilage qui permettent à partir de questionnaires sur leurs comportements et leurs habitudes de vie de donner aux clients-patients des conseils et recommandations sur des produits spécifiques et adaptés. Ce type d’outils pourra être développé également dans le domaine de la prévention et du diagnostic », comme le précise Hervé Jouves, président de Lafayette Conseil. Et de prédire « l’IA amenée à la pharmacie et appliquée à la détection, va faire du pharmacien le premier acteur de santé de ville ».
Les objets connectés, collecteurs de données
De fait, le champ de la prévention et du dépistage est assurément celui qui ouvre le plus grand horizon à l’IA. Les allergies, le mode de vie, mais aussi la détection de certaines pathologies (diagnostic de peau, dépistage du mélanome)… sont aujourd’hui les pistes les plus sérieuses poursuivies par l’IA à l’officine. L’accompagnement du patient est une application envisageable, l'anticipation de ses besoins en est une autre. Pharmacyal développe ainsi actuellement avec Pharmonweb le développement de sa solution « Bilans de prévention santé ». « Elle permet au patient, après avoir rempli quelques questions sur sa santé, d’avoir une vraie vision sur son capital santé et sur les conséquences de son mode de vie », déclare Cyril Tétart, président du groupement. Pharmavie conçoit quant à lui l'extension de la fonctionnalité de son outil « MyStat » à la détection des patients éligibles à une vaccination. Il suffit pour cela d’utiliser des algorithmes en fonction de la typologie de la patientèle ciblée.
Au carrefour de l’observance et de la prévention, les objets connectés sont des supports recherchés car pourvoyeurs de données en temps réels et exploitables par le pharmacien. « La collecte des données de santé des patients via les objets connectés vendus par nos adhérents, retraitée par l’IA, a pour objectif d’améliorer la prévention de certaines maladies et d’adapter au besoin les traitements en cours », confirme François Chartier, P-DG de Cap'Unipharm. Il estime que l’éducation thérapeutique peut s’appuyer sur ces outils connectés et ainsi rendre le patient plus autonome dans la gestion de son traitement.
Cependant, l’application de l’IA dans ce domaine n’en est encore qu’à ses balbutiements à l’officine. Les groupements, et davantage encore leurs adhérents, observent ce développement avec circonspection. Une posture motivée par les réticences sur la protection des data (voir page 24) et par le caractère supposé chronophage de ces fonctionnalités. Les réseaux de pharmaciens n’en explorent pas moins les différentes facettes. L’une d’elles, le maintien à domicile, retient particulièrement leur attention. « Face au développement du MAD qui s’appuie sur des outils de surveillance connectés au patient afin de mesurer l’évolution de son état de santé à distance, le pharmacien s’inscrit pleinement dans cette collecte de données », poursuit François Chartier. Les outils digitaux déjà mis en place par les groupements sont tout à fait capables d’intégrer ces fonctionnalités. Ainsi, Christian-Eric Mauffré estime que « sur la base du machine learning* et de capteurs à domicile, via l’App Ceido, il sera possible de détecter au plus tôt les premiers signes faibles de perte d’autonomie et de déclencher l’intervention du pharmacien, en relation avec un aidant ou un autre professionnel de santé dans un contexte de promixologie ».
S’il est un autre domaine où le recours à l’IA est fréquemment envisagé par les groupements, c’est bien celui de la téléconsultation. Afin de ne pas rater ce tournant auxquels la plupart d’entre eux se préparent, l’utilisation de dispositifs médicaux connectés mais aussi d’applications embarquées permettant l’analyse des mesures, sont d’ores et déjà appréhendés par les groupements pour aider leurs adhérents à développer leur nouveau rôle de professionnels de santé.
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