Le Quotidien du pharmacien. - Les groupements semblent avoir acquis la notion d’intelligence artificielle et travaillent actuellement à son intégration dans les diverses facettes de l'exercice officinal. Quel état des lieux dressez-vous ?
Laurent Filoche.- Je pense que l’intelligence artificielle trouve toute sa place dans le back-office dans la mesure où elle permet d’améliorer, de fluidifier, toute la chaîne du médicament, du laboratoire au pharmacien, en passant par les grossistes-répartiteurs, voire par des centrales d’achats pharmaceutiques (CAP). Ceci afin de permettre au pharmacien d’officine de remettre le bon produit au patient dans les meilleurs délais. Grâce à ce gain de temps considérable, le pharmacien va pouvoir se consacrer aux tâches qui sont la véritable valeur ajoutée de son métier, la prise en charge du patient.
À ce propos, l’utilisation de l’intelligence artificielle dans la relation patient est, elle aussi, fréquemment évoquée, ne serait-ce qu’à titre prospectif. Qu’en pensez-vous ?
Sur le volet de l’utilisation de l’intelligence artificielle dans la relation patient, je suis en revanche beaucoup plus circonspect. En effet, pour moi la frontière est très ténue entre ce qui est permis de faire et ce qui nous exposerait, nous groupements, à des actions, ou à des nuisances relevant d’une trop grande confiance dans l’intelligence artificielle. N’oublions pas que les données patients sont des données très sensibles. Et qu’aujourd’hui, les systèmes qui ont recours à l’intelligence artificielle dans ce domaine ont été développés par les GAFAM. La plus grande prudence est donc de mise.
Faire entrer l’intelligence artificielle dans la relation patient risquerait donc selon vous d’hypothéquer la confiance que les patients ont dans leur pharmacien ?
Absolument. Du reste, nous constatons de manière générale, une défiance croissante des consommateurs envers les acteurs du Web. Ils redoutent de plus en plus la spoliation de leurs données personnelles. Le pharmacien ne peut par conséquent risquer sa relation avec le patient. Il est de son rôle de professionnel de santé, tout comme le médecin, d’avoir un lien direct avec le patient. Il ne faut en aucun cas le parasiter par des logiciels.
Outre le mésusage de la data, une autre crainte émerge également dans l’utilisation de l’intelligence artificielle, celle de voir l’humain remplacé par la machine. Le pharmacien doit-il craindre cette évolution ?
En aucun cas, le pharmacien ne doit être « shunté » ou « switché »* dans la relation patient. Car dès que l’on rompt le lien avec le patient, on risque l’ubérisation. L’intelligence artificielle n’a pas droit de cité dans ce domaine. La pharmacie, comme la médecine, est un art.
Est-il du devoir des groupements d’alerter leurs adhérents de ces dangers ?
Nous avons, de fait, un rôle de garde-fous à jouer. L’UDGPO a, dans le passé, lutté contre l’utilisation des données de santé par les éditeurs de LGO. Nous revenons à ce débat. Les patients nous font confiance. Ils savent que tout ce qu’ils peuvent nous dire doit contribuer à un meilleur conseil. Nous accorderont-ils la même confiance quand ils apprendront que ce qu’ils nous disent part dans un cloud ? Que les informations qu’ils nous donnent sont empilées dans un data center ?
On rompt dans ce cas le lien de confidentialité. Personne ne peut y trouver d’intérêt. Ni le pharmacien. Ni le patient. Notre combat sera donc de rester très vigilants, de veiller à ce que personne ne prenne notre place. Le pharmacien doit rester au centre de l’échiquier en gardant ce lien direct avec le patient.
* Court-circuité ou remplacé
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