Le Quotidien du pharmacien.- Depuis combien de temps vous intéressez-vous et pourquoi à la testostérone ?
Pr Henry Botto.- Depuis longtemps ! Interpellé en cela par le paradoxe entourant la testostérone depuis les travaux d’Huggins, publiés en 1941, ce qui lui a valu le prix Nobel, sur le rôle de la privation en cette hormone sur la progression du cancer de la prostate. Il convient de rappeler qu’à cette époque, tous les cancers de la prostate étaient diagnostiqués à un stade métastatique en raison de l’absence d’autres possibilités, alors que ce n’est heureusement plus le cas aujourd’hui.
Travaux qui ont conduit, en faisant de la testostérone l’hormone du cancer, à frapper d’un ostracisme quasi total l’emploi de cette dernière en dehors des rares cas d’hypogonadisme congénital. Seule la forme injectable étant d’ailleurs remboursée dans cette indication, alors même que la forme percutanée, la meilleure, ne l’est pas !
J’ai donc toujours été perplexe devant ce paradoxe : comment se fait-il que l’hormone masculine par excellence chez l’adulte sain, puisse, du jour au lendemain, induire un cancer de la prostate ?
Quelles ont été les principales difficultés que vous avez eu à surmonter pour mener à bien l’étude ANDROCAN ?
Tout d’abord, il est toujours compliqué d’essayer d’ébranler un dogme remontant à 70 ans ! La principale difficulté a donc été de faire partager mon intérêt. Heureusement, notre service était et est toujours l’un des plus importants centres français de traitement du cancer de la prostate. Et j’ai pu rallier à mon projet un certain nombre de mes anciens internes œuvrant désormais dans divers établissements hospitaliers.
Il a également fallu développer de nouvelles techniques de dosage, parmi lesquelles celui de la testostérone intraprostatique, et identifier un spécialiste capable d’exploiter au mieux les près de 300 000 items récoltés. Concrètement, j’ai lancé les premières études en 2006 et les premiers patients d’ANDROCAN ont été recrutés en 2013, les derniers en 2016. Au total, 1 343 dossiers de patients** ayant bénéficié d’une prostatectomie pour cancer localisé.
ANDROCAN n’a pu être menée à bien que grâce aux moyens accordés par la Fondation Foch.
Quelles sont les principales conclusions de l’étude ANDROCAN ?
La première est indiscutablement que nous avons prouvé que le cancer de la prostate localisé, ce qui représente actuellement environ 90 % des cas au moment du diagnostic, n’est pas dû à un excès de testostérone… et aussi que ce dernier est plus agressif, plus grave, en cas de carence en testostérone ; ce qui peut sembler surprenant. En effet, il ressort des données d’ANDROCAN, qu’un cancer de la prostate agressif est plus fréquent (50 %) chez les hypogonadiques que chez l’homme normal (30 %).
Le corollaire de ces résultats est qu’il est grand temps que la communauté médicale commence à revoir les règles encadrant la supplémentation en testostérone chez l’adulte et d’en faire bénéficier tous les hommes concernés.
Sait-on pourquoi les cancers agressifs surviennent plus fréquemment chez les hommes hypogonadiques ?
Il est encore trop tôt pour se prononcer, mais il s’agit, bien sûr, d’une importante question à éclaircir. Lors d’ANDROCAN, nous avons dosé les hormones sexuelles – autrement dit la testostérone, ses précurseurs et ses métabolites - au sein des prostates normales, volumineuses ou cancéreuses. Nous avons ainsi mis en évidence que les grosses prostates se caractérisent par des taux élevés de dihydrotestostérone (DHT) intraglandulaire comparativement aux prostates normales, alors que la testostérone est équivalente. Les cancers de prostate localisés ont, quant à eux, un taux effondré de testostérone intraglandulaire et un taux équivalent de DHT, comparativement aux prostates normales. Enfin, il n’y a pas de différence significative en ce qui concerne les taux sanguins de testostérone et de DHT entre les 3 catégories de prostates.
Les variations enzymatiques à l’origine de ces différences hormonales ne sont pas encore établies. Manifestement, l’hormonologie et le cancer de la prostate restent toujours très liés.
Dans quels domaines une supplémentation en testostérone pourrait-elle se révéler utile ?
Les domaines d’application sont très nombreux, car l’on sait que l’hypogonadisme est un facteur de risque de multiples troubles, parmi lesquels la sarcopénie, la baisse de la densité minérale osseuse, l’obésité abdominale, la prise de poids associé à une baisse du pourcentage de la masse maigre, le syndrome métabolique, des troubles du métabolisme glucidique avec une augmentation de la résistance à l’insuline et de la fréquence du diabète de type II, une baisse de la pilosité, une altération de l’humeur et des facultés cognitives chez l’homme vieillissant, des troubles de la libido… Songeons, par exemple, que 50 % des hommes obèses et 30 % de ceux qui sont atteints d’un diabète de type 2 sont hypogonadiques.
Or, bien que l’on sache parfaitement que tous ces troubles sont améliorés par la prise de testostérone – surtout s’ils sont associés à un déficit en cette hormone – y compris dans le cas de coronaropathies, une autre catégorie de patients, les personnes atteintes ne peuvent être actuellement traitées. Au total, on peut donc estimer que des millions de personnes seraient susceptibles d’être concernées en France !
Quelle suite allez-vous donner à ANDROCAN ?
Tout en poursuivant le suivi des patients recrutés pour ANDROCAN, nous allons essayer de voir s’il est possible d’améliorer l’état de patients opérés d’un cancer localisé de la prostate présentant des troubles liés à un déficit en testostérone. Et aussi affiner la prise en charge de ces patients, notamment au regard de l’agressivité de la tumeur initiale. Nous espérons, notamment, une amélioration du pronostic carcinologique. Le soutien de la Fondation Foch nous est acquis. Restera à trouver le médicament ad hoc, de préférence une formulation percutanée de testostérone, qui bénéficie de la meilleure tolérance. Nous comptons démarrer le recrutement des patients dès cette année.
* Ancien Chef du service d’urologie de l’hôpital Foch (Suresnes), initiateur et coordinateur de l’étude ANDROCAN
** Quatre centres urologiques : Hôpital Foch (Suresnes), hôpital Louis Pasteur (Colmar), hôpital Pitié-Salpêtrière (Paris), Institut Mutualiste Montsouris (Paris).
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