En octobre 2022, Philippe Coville a déposé plainte devant le pôle santé publique de Paris et le procureur de Versailles contre son médecin et contre X pour « blessures involontaires » et « tromperie aggravée ». À l'origine de la création d'une association d'aide aux malades, cet ingénieur de formation tente de fédérer toutes les personnes qui, comme lui, s'estiment victimes de la négligence des médecins qui leur ont prescrit des fluoroquinolones hors AMM.
Philippe Coville l'assure, il ne mène pas ce combat pour toucher des indemnités, mais « pour que les responsabilités des médecins et des autorités sanitaires soient établies. Pour comprendre comment des dysfonctionnements aussi graves ont pu perdurer depuis 4 ans ». Un autre homme a lui aussi déposé plainte la semaine dernière devant le pôle santé publique de Paris. D'autres pourraient suivre. Selon Philippe Coville, une vingtaine de patients envisagerait de porter plainte.
Des femmes et des hommes « qui ont tout perdu »
Pour Philippe Coville, tout a commencé par une infection urinaire, « la première de sa vie », lors de l'été 2021. Alors âgé de 59 ans, il ne souffre d'aucun problème de santé majeur. Son médecin traitant lui prescrit de la ciprofloxacine (Ciflox) et l'informe simplement d'un risque potentiel de tendinite. Deux jours plus tard, l'infection urinaire de Philippe Coville est passée, mais il continue à prendre son traitement, comme indiqué. « Au bout d'une dizaine de jours, j'ai commencé à ressentir de vives douleurs dans les mollets, puis aux pieds, aux genoux, dans les hanches, les poignets… Pendant 8 mois, j'ai eu du mal à marcher plus de 300 mètres… », raconte l'ingénieur. Il retourne voir son généraliste. « Mon médecin me dit qu'il prescrit ce médicament depuis plus de 30 ans et qu'il n'a jamais vu ce type de problèmes. Pourtant, il suffit de lire la notice pour se rendre compte que la ciprofloxacine peut entraîner de graves effets secondaires », dénonce-t-il. Au fil des mois, certains symptômes diminuent. Début 2022, Philippe Coville va mieux, mais il rechute ensuite à deux reprises. Encore aujourd'hui, des douleurs neuropathiques le réveillent en pleine nuit.
Sur les réseaux sociaux, Philippe Coville découvre que de nombreux autres patients, en France et dans toute l'Europe, ont souffert de différents symptômes suite à la prise de fluoroquinolones. « J'ai récolté une centaine de témoignages, dont la moitié en France. Des patients d'une trentaine d'années sont aujourd'hui en fauteuil roulant. Des hommes, des femmes se sont vus prescrire ces médicaments pour des sinusites, après une opération des oreilles, pour des infections urinaires… Certains ont tout perdu. » C'est le cas de Jean-Baptiste, professeur de musique coincé dans un fauteuil depuis qu'il a pris de l'ofloxacine (Oflocet) pour un soupçon de prostatite. C'est aussi ce que vit Élise, qui a souffert de graves troubles cognitifs et de diverses douleurs après la prise de Ciflox. Traitée par ofloxacine en 2013 suite à une césarienne entraînant des cystites à répétition, Atéka, elle, a dû renoncer à toute activité professionnelle depuis la prise du traitement.
Une balance bénéfice/risques réévaluée
Les effets secondaires des fluoroquinolones sont connus depuis longtemps. Il faut cependant attendre 2019 pour que l'Agence européenne du médicament (EMA) décide de réévaluer leur rapport bénéfice/risques. L'EMA préconise alors de restreindre leur utilisation « compte tenu de la gravité de certains de ces effets, comme une atteinte du système nerveux, des troubles neuropsychiatriques, une affection du système musculosquelettique, et de leur caractère durable dans le temps (...) ». Un risque iatrogène particulièrement important chez certaines personnes : les patients âgés, ceux atteints d'insuffisance rénale, ayant bénéficié d'une greffe d'organe ou traités avec des corticoïdes. Selon une autre alerte de sécurité relative aux fluoroquinolones, les formes systémiques de cette classe d'antibiotiques sont également associées à un risque accru de régurgitation/insuffisance des valves cardiaques.
Les recommandations de l'EMA ont ensuite été suivies par les autorités sanitaires françaises, lesquelles décident de restreindre leur usage par voie générale (voie orale ou injections) aux situations où elles sont indispensables. Une restriction qui ne concerne pas les pommades ophtalmiques, collyres et solutions auriculaires. Les professionnels de santé en sont informés par une lettre adressée en avril 2019. Dans ce document, l'ANSM indique clairement que les (fluoro)quinolones ne doivent plus être prescrits dans certains cas, notamment pour « les infections non sévères ou spontanément résolutives (pharyngite, angine et bronchite aiguë) » ; « la diarrhée du voyageur ou infections récidivantes des voies urinaires basses » ; « les infections non bactériennes comme la prostatite » ; ou encore « les infections de sévérité légère à modérée notamment la cystite non compliquée »…
Deux prescriptions sur trois hors AMM en France
Comme l'illustrent le cas de Philippe Coville et celui des autres patients victimes d'effets secondaires graves, les prescripteurs n'ont peut-être pas tous pris la mesure de ces recommandations. Preuve en est, une étude commandée par l'EMA, publiée en mai 2022, démontrait que deux tiers des prescriptions françaises de fluoroquinolones visaient des indications non prévues dans les recommandations. Citant des chiffres de Santé publique France, Philippe Coville indique que « 2,4 millions de prescriptions de fluoroquinolones ont été faites en France en 2021, en secteur de ville. Si on se base sur l'étude de l'EMA, environ 1,6 million de prescriptions de fluoroquinolones hors AMM sont réalisées chaque année en France, donc 130 000 chaque mois », analyse-t-il.
Si la prescription ou délivrance hors AMM est légale, même si elle doit demeurer « exceptionnelle », Mathieu Molimard, professeur au CHU de Bordeaux et responsable de la communication de la Société française de pharmacologie et de thérapeutique (SFPT), estime qu'il est désormais temps de « changer la législation » et d'avoir « des outils pour bloquer les prescriptions ». Ainsi, les médecins seraient obligés de justifier chacune d'entre elles. « Dans les cas d'infections urinaires, dans les sinusites, on ne devrait plus voir une seule prescription de fluoroquinolone en première intention », explique le pharmacologue sur « France info ».
Le pharmacien responsable ?
Si les prescripteurs sont les premiers visés par les patients victimes des fluoroquinolones, les pharmaciens ont-ils également une part de responsabilité ? Président de l'Union des syndicats de pharmaciens d'officine (USPO), Pierre-Olivier Variot se dit d'abord « surpris » de l'ampleur médiatique prise par l'affaire. « Dans mon exercice quotidien, je vois très peu de primoprescriptions de fluoroquinolones. Dans le cas des infections urinaires simples, il est plus fréquent et plus simple de prescrire en première intention un traitement par Monutril ou par fosfomycine en sachet. » Au cours de ces deux dernières années, Pierre-Olivier Variot ne se souvient que d'un seul cas de prescription de fluoroquinolones qui lui a semblé injustifié, chez une patiente qui souffrait d'une infection urinaire pour la première fois depuis trois ans. « Dans un cas comme celui-là, j'ai appelé le médecin, mais nous ne connaissons pas le diagnostic qu'il a posé, on ne peut donc pas savoir si la prescription est justifiée ou non. » Le président de l'USPO affirme avoir toujours informé ses patients sur les risques d'effets secondaires, notamment la photosensibilisation. De son côté, Philippe Besset, président de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF), veut également insister sur l'importance de ne pas effrayer les patients. « Pour certaines indications, comme dans le cas du bacille de charbon, c'est typiquement l'antibiotique qu'il faut », rappelle le président de la FSPF.
Antibiorésistance et pénuries
Pour le Dr Luc Duquesnel, président du syndicat Les Généralistes-CSMF, le plus important est maintenant de comprendre pourquoi des fluoroquinolones sont encore prescrites aujourd'hui hors des recommandations en vigueur. « Des germes résistent aujourd'hui à plein d'antibiotiques. Cela peut obliger un médecin à prescrire des fluoroquinolones parce que les autres antibios ne sont plus efficaces, observe-t-il premièrement. Parfois, nous ne pouvons pas prescrire un autre médicament car nous savons que les pharmaciens sont en rupture », détaille le généraliste. « Plutôt que des coupables, il faut chercher des explications. Savoir si oui ou non ces prescriptions hors AMM augmentent et, si c'est le cas, comprendre pourquoi et apporter des solutions. J'ai toutefois le sentiment que le nombre de prescriptions a bien diminué ces dernières années », conclut le Dr Duquesnel. Une impression confirmée par des chiffres de Santé publique France, qui confirment que les prescriptions de fluoroquinolones ont diminué de moitié entre 2011 et 2021.
Quoi qu'il en soit, la médiatisation des cas d'effets secondaires graves liés à la prise de fluoroquinolones a déjà eu une première conséquence. Ainsi la HAS devrait-elle prochainement ajuster l'une de ses recommandations « pour que les fluoroquinolones ne soient plus prescrites dans les cystites simples de l’homme comme c’est déjà prévu dans la cystite simple de la femme ».
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