DE TRÈS NOMBREUX médicaments administrés aux enfants n’ont pas été développés à leur intention. On estime d’ailleurs qu’en moyenne 65 % des spécialités leur sont prescrits en dehors du cadre de leur autorisation de mise sur le marché (AMM). Qu’il s’agisse de l’indication, de la posologie, de la forme galénique ou d’un âge différent de celui précisé dans l’AMM, en extrapolant à partir des données disponibles chez l’adulte et donc sans que des essais cliniques spécifiques aient été réalisés chez l’enfant. Cela pour plusieurs raisons, parmi lesquelles les problèmes éthiques et pratiques liés à la réalisation des essais cliniques chez l’enfant*, la spécificité et/ou la rareté de certaines pathologies dans une tranche d’âge bien défini et le faible engagement des laboratoires pharmaceutiques à investir dans des recherches pour cette population de patients. Néanmoins, et contrairement à ce que l’on entend souvent, le « marché » des médicaments pédiatriques est loin d’être limité. En effet, la population pédiatrique européenne, autrement dit les enfants de moins de 18 ans, représente en moyenne 20 % de la population totale (25 % en France), ce qui correspond à environ 100 millions de nourrissons, d’enfants et d’adolescents.
Pourtant, il est bien connu que l’enfant ayant des caractéristiques propres (ce n’est pas un adulte en réduction), notamment pharmacocinétiques, on ne saurait se contenter de faire une simple règle de trois par rapport à l’adulte, au risque de s’exposer à la possible survenue d’effets indésirables, notamment spécifiques à l’enfance comme un retentissement sur la croissance. Sans compter les erreurs de posologie, d’autant plus à craindre que la dilution doit être plus élevée.
Si le problème est particulièrement aigu à l’hôpital, il est loin d’être absent en ville, surtout bien entendu pour les petits malades « lourds » (les greffés du rein par exemple).
Prescriptions en pédiatrie : ne pas confondre les statuts.
Ainsi que le souligne le Pr Françoise Brion (PU-PH, Hôpital Robert Debré, Paris et Université René Descartes), qui s’implique depuis de nombreuses années dans les multiples problématiques des médicaments pédiatriques, « il convient de bien distinguer entre trois statuts au regard des médicaments prescrits en pédiatrie ».
À savoir, d’une part les médicaments ayant une AMM pédiatrique dans au moins une indication : la posologie et la forme galénique sont clairement adaptées à l’usage pédiatrique. Ces médicaments doivent être choisis en priorité, mais ne dispensent pas de s’assurer que pour l’enfant à traiter le bénéfice est supérieur au risque.
D’autre part les médicaments réservés à l’adulte : ces produits sont alors utilisés hors AMM en pédiatrie. Ces médicaments peuvent présenter une contre-indication fondée sur un risque réel chez l’enfant ou une contre-indication relative du fait qu’ils n’ont pas été évalués chez l’enfant.
Et enfin les médicaments dépourvus de mention particulière chez l’enfant, dont certains possèdent une indication pouvant correspondre à une pathologie pédiatrique, permettant une utilisation chez l’enfant, sous réserve que la posologie et la forme galénique puissent s’adapter à une utilisation en pédiatrie.
Il ressort d’une étude française publiée en 2006 que sur 93 nouveaux médicaments mis sur le marché entre 2002 et 2004, seulement 34,4 % avaient une AMM pédiatrique – dont 5,4 % sans aucune limite d’âge à l’utilisation – 7,6 % étaient réservés à l’adulte ou contre-indiqués chez l’enfant et 58 % ne présentaient aucune information pédiatrique dans leur RCP (résumé des caractéristiques du produit). Cette étude a également montré que parmi les 57 médicaments réservés à l’adulte ou sans données pédiatriques, 37 auraient pu présenter un intérêt thérapeutique en pédiatrie.
Les apports du règlement européen de 2006.
La parution du règlement européen de 2006, entré en vigueur le 26 janvier 2007 (dans lequel la France a joué un rôle moteur, il faut le souligner, grâce à une initiative remontant à décembre 2000) a suscité de grands espoirs en ce qu’il a institué des incitations pour les laboratoires à développer des formes pédiatriques.
En effet, ce texte, qui concerne les enfants de 0 à 17 ans inclus a pour objectifs de faciliter le développement et l’accès aux médicaments adaptés à cette classe d’âge ; d’assurer une recherche clinique de qualité sur les médicaments à usage pédiatrique et d’améliorer la mise à disposition d’informations concernant l’utilisation des médicaments chez l’enfant.
Cette réglementation européenne impose aux laboratoires pharmaceutiques de déposer auprès du Comité européen pédiatrique (PDCO) un Plan d’Investigation Pédiatrique (PIP) avant toute nouvelle demande d’AMM, mais également avant toute demande de modification d’AMM relative à une nouvelle indication, forme pharmaceutique ou voie d’administration et lors d’une demande de PUMA (Pediatric-Use Marketing Authorization) qui concerne les médicaments déjà autorisés mais n’étant plus couverts par des droits de brevet.
Cela en contrepartie de mesures de protection accrues.
En pratique, depuis 2007, près de 1 300 dépôts de PIPs ont été validés, plus des deux tiers ayant concerné des médicaments non encore autorisés. Seulement 3 % des demandes ont été soumises dans le cadre d’une demande d’AMM à usage pédiatrique. Le nombre d’indications couvertes s’élève à 1 025, un médicament pouvant en avoir une ou plusieurs.
« Mais, remarque le Pr Françoise Brion, si les Plans d’Investigations Pédiatriques ont représenté une avancée majeure dans la manière de réaliser le développement des nouveaux médicaments, le bilan est très limité en ce qui concerne les médicaments n’ayant plus de brevets – 26 demandes seulement déposées de 2007 à 2009, il existe de grandes disparités entre les différentes classes thérapeutiques et ce dispositif ne s’est que rarement accompagné du développement de formes pédiatriques, d’ailleurs non imposé dans le texte européen, ce qui est une grande déception. »
L’innovation galénique en panne ?
Le manque de nouvelles formes pédiatriques vraiment innovantes est un problème très actuel et qui prend un reflet particulier lorsqu’il s’agit d’administrer 10 à 20 médicaments par jour. Dans ce contexte, il est clair que les formes buvables ne sont pas la panacée, notamment du fait des multiples aromatisations et des possibles limitations au regard des volumes à administrer. Un autre problème important à régler est celui de l’adaptation posologique.
Parmi les solutions envisagées figurent, par exemple, des nanoparticules ou des nanocapsules dont la quantité serait mesurée avec de nouveaux dispositifs et qui seraient mises en suspension au dernier moment, ou encore de nouvelles formes à coller à l’intérieur des joues.
Reste à trouver, semble-t-il, les incitations et moyens adéquats à l’encouragement de telles démarches.
L’auteur remercie tout particulièrement le Pr Françoise Brion pour l’aide très précieuse qu’elle lui a apportée dans la rédaction de cet article.
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