Julien regarde l'ordonnance.
Il retourne le papier dans tous les sens. Quelque chose l'intrigue dans la formulation de la posologie : « 2 comprimés ou gélules à volonté ». Il s'étonne aussi de la mention « Je dis bien », qui n'a aucun intérêt sur cette prescription.
Le client s'impatiente. Il est jeune, 25 ans tout au plus. Il n'inspire pas confiance.
- Je peux avoir votre carte Vitale s'il vous plaît ? lui demande le jeune pharmacien.
- Je n'en ai pas. On me l'a volée, chez moi. Je dormais, tranquille, et le copain qui était à la maison est parti avec tous mes papiers. Tu parles d'un copain. Et les gendarmes s'en fichent complètement…
Plus Julien écoute le jeune homme, plus il se méfie.
- Vous êtes enregistrés chez nous ? Je vais regarder.
Quand Julien ouvre le dossier informatique, un message d'alerte apparaît : « Ne rien délivrer sur demande du médecin – pas d'attestation SS. »
Cette nouvelle information conforte Julien dans sa position. Il reste maintenant à expliquer au patient pourquoi aucun médicament ne lui sera délivré aujourd'hui.
- Pourquoi le médecin vous a-t-il prescrit ce médicament ? reprend Julien d'un ton volontairement naïf.
- Des douleurs, répond brièvement le jeune homme qui commence à transpirer.
- Il est passé à votre domicile ? Les ordonnances du Docteur Breton sont toutes informatiques maintenant.
- Non, mais son ordinateur est cassé. Enfin c'est ce qu'il m'a dit.
- Je reviens.
Julien rejoint Juliette dans le back-office. Sans attendre ses explications, l'adjointe le prévient :
- Tu ne lui donnes rien. Il veut de la codéine ? C'est un trafiquant. Fais voir l'ordonnance ?
Juliette observe le papier.
- C'est flagrant, elle est fausse. Regarde, tout est noté à la main, alors que Breton fait tout à l'informatique. C'est une photocopie d'ordonnance qu'il a bidouillée.
- Et tu as vu l'expression de la posologie ? « à volonté », et « je dis bien ». La question maintenant, c'est : comment je fais pour m'en débarrasser ?
Dans cette situation, Julien aimerait que Juliette l'accompagne, voire prenne le relais. Mais il est pharmacien, et doit apprendre à assumer les situations difficiles.
- Tu n'as qu'à lui dire que tu appelles le médecin parce que la posologie ne te convient pas.
De retour au comptoir, Julien commence à parler mais le patient l'interrompt, agressif :
- Sur la tête de ma mère, le médecin veut que je prenne de la codéine. Tu veux pas me la donner toi ? J'ai vu ton manège, tu veux pas me donner les médicaments. T'es qui toi, t'es un nouveau ? Tu vas pas faire long feu ici, je te le dis. Vas-y, rends-moi ça…
Le jeune homme arrache l'ordonnance des mains de Julien.
- Je remets plus les pieds ici ; on donne pas les médicaments aux malades, on les laisse crever…
Julien reste au comptoir, blème et tremblant.
- Ça va ? Ne t'inquiète pas. Il fait le coup à chaque fois. On ne va plus le voir pendant six mois, et puis il reviendra. On aurait peut-être dû faire une copie…
Julien regarde l'adjointe :
- Je l'ai faite. Et maintenant, j'ai très envie de déclarer à l'ARS cette fausse ordonnance ?
- Oui, on va faire ça. Je ne l'ai jamais fait, mais on va appeler pour connaître la procédure.
(À suivre…)
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