Dans un secteur marqué par des pressions économiques croissantes, des marges en diminution et une complexification du métier, les groupements unissent leur force afin d’améliorer leur capacité de négociation, de mutualiser leurs ressources et de développer les services demandés par leurs adhérents. Cependant, ces rapprochements complexes doivent répondre à une vision stratégique. Par ailleurs, ces opérations réclament des ajustements organisationnels importants pour surmonter les différences structurelles et culturelles qui peuvent freiner leur succès.
Répondre à un besoin
Pour Rafaël Grosjean, dirigeant de Pharmodel, « les rapprochements doivent faire l'objet d'une réflexion stratégique en amont importante pour maintenir un cap, une cohérence stratégique, respecter et poursuivre les projets originels de chaque groupement » impliqué. Et ce, tout en apportant les moyens et les synergies nécessaires à la dynamisation de l’activité. Une approche pragmatique et utilitaire donc, visant à répondre à des besoins spécifiques et non à gonfler le nombre d’adhérents, le chiffre d’affaires ou les financements.
Hervé Jouves, président de Hygie 31, l’explique : « Il faut partir d’un projet, et s’assurer que chaque acquisition permette de le développer. Le nôtre est de devenir un acteur leader de la santé en Europe, ce qui nécessite de commencer par créer une solide assise en France. ». Pour y parvenir, le groupe a besoin d’être présent partout sur le territoire. Une tâche impossible à accomplir seul pour son groupement Pharmacie Lafayette. « Aujourd’hui, notre enseigne est accessible dans toute ville de plus de 15 000 habitants. Mais il est difficile pour elle de s’implanter en ruralité, ce n’est pas ainsi qu’elle a été conçue et elle ne répond pas aux problématiques locales. C’est pour cette raison que nous nous associons avec des groupements plus régionaux, disposant d’un meilleur ancrage dans le territoire », expose-t-il, revenant sur les rapprochements effectués avec Pharmacorp en 2022, puis Pharmacyal en 2023 et enfin Magdaléon en 2024.
Maîtriser les discours
Ces acquisitions sont des opérations particulièrement sensibles, qui demandent une certaine maîtrise de la communication auprès des adhérents. À défaut de pédagogie, ceux-ci peuvent percevoir le processus avec méfiance et craindre une perte d’identité, diluée au sein d’une structure plus grande. Il n’est d’ailleurs pas rare que des adhérents quittent leur groupement suite à une acquisition, souvent pour céder aux sirènes d’autres groupements opportunistes.
Cyril Tétart, président du groupement Pharmacyal, le sait mieux que quiconque : « Lors du rapprochement avec Hygie 31, beaucoup de choses ont été dites, qui ont débouché sur la création de beaucoup d’amalgames. Tous les concurrents essayaient de récupérer nos adhérents, en leur disant que nous étions rachetés et que Pharmacyal n’existerait plus. » Un épisode mal vécu, qui démontre l’importance d’une communication interne, mais aussi externe parfaitement maîtrisée. Car l’intégration et le maintien des cultures d’entreprises et de l’identité de chaque groupement sont aussi importants que les obstacles organisationnels classiques (ex. : harmonisation des systèmes informatiques, gestion des doublons de fonctions, alignement des politiques…).
Des actions et non des mots
Cette communication est centrée sur la capacité à convaincre les adhérents que ce changement, pourtant complexe, est bénéfique pour les deux entités. D’où l’importance d’amorcer les changements très vite, afin qu’ils soient visibles et ressentis par les adhérents. Grâce à Pharmacyal, Hygie 31 a ainsi pu acquérir une société de distribution de matériel médical, Mieux Vivre à Domicile (MDV), ainsi qu’une centrale d’achat pharmaceutique (CAP) ainsi que 127 pharmacies installées dans des quartiers ou dans des petites localités. En retour, Pharmacyal a pu bénéficier du soutien financier et de l’expérience d’Hygie31 pour développer de nouvelles activités et consolider sa position dans les Hauts-de-France.
Pour la fédération Apsagir, qui regroupe 12 groupements régionaux, les besoins sont différents. « La concentration n’a échappé à personne et d’ores et déjà, 60 % du marché est concentré dans une dizaine de groupements ou regroupements. Nous avions anticipé cela lors de la création de la fédération Agirpharma, et dans celle plus récente d’Apsagir, fruit de notre fusion avec Apsara », rappelle Laurent Toledano, fondateur d’Excel Pharma.
Membres d’Apsagir, les groupements Unipharm Normandie-IDF, Unipharm Loire-Atlantique et Unipharm 33 ont décidé cet été de faire scission et de rester chez Apsara. Une séparation causée par les différences de points de vue et d’orientation avec les autres groupements. Un signe que la concentration et les fusions ne sont jamais garanties et que cette union doit être maintenue dans le temps, bien au-delà de l’annonce du rapprochement. Comme le rappelle Thomas Nepveux, directeur général du Groupe Evecial, « Un projet de fusion réussit si les dirigeants de chaque groupement s’entendent avec leurs adhérents mais aussi entre eux. Chez nous, le projet est de travailler ensemble, pas de se fondre les uns dans les autres, chaque groupement est libre de piocher ce qu’il veut dans la puissance de cette alliance, mais rien n’est imposé ». Ainsi, pour exemple, Dynamis a pu reprendre le système de carte de fidélité des autres groupements, sans avoir à passer sous l’enseigne de Boticinal.
L’expansion vers l’Europe ?
Au-delà de la France, plusieurs groupements ont tourné leur regard vers le reste du continent européen afin de trouver de nouveaux relais de croissance. C’est notamment le cas d’Hygie 31, qui a acquis le groupement espagnol Ecocetics, reprenant le modèle et le positionnement de Pharmacie Lafayette (qui s’est également étendu au Luxembourg). Le groupement compte pour l’instant une trentaine de pharmacies, avec deux à trois nouveaux arrivants par mois. L’Espagne accueille également Mediprix Espagne, filière de Mediprix France, au modèle économique et services similaires, avec bientôt des dispositifs spécifiques aux besoins du marché espagnol.
Alphega Pharmacie se distingue dans le paysage des groupements pharmaceutiques par son envergure, avec plus de 9 600 adhérents à travers 10 pays (République tchèque, France, Espagne, Pays Bas, Royaume-Uni, Turquie, Roumanie, Italie, Allemagne et Portugal). Une dimension internationale qui facilite le partage d’expérience : « Pour le déploiement de la vaccination en pharmacie en France, nous avions pu compter sur l’aide et les conseils de nos confrères anglais, pour qui cette mission est bien plus ancienne, notamment sur les aspects pratiques. Cela nous a permis d’avoir un temps d’avance sur la concurrence », explique Sophie Rey, directrice d’Alphega Pharmacie France.
L'expansion à l'étranger offre aux groupements pharmaceutiques de multiples opportunités dans un marché européen encore très hétérogène. Face à des réglementations et des dynamiques variées selon les pays, ils peuvent valoriser leur expérience française sur des marchés moins matures, tout en s'inspirant des pratiques innovantes observées ailleurs pour les déployer dans l'hexagone. Cette présence internationale leur permet également de renforcer leur pouvoir de négociation auprès des laboratoires pharmaceutiques. A condition, bien entendu, que cette expansion -qui passe par l’accueil de pharmaciens d’une autre culture- se passe sans encombre. Nul doute que sur ce chapitre, les pharmaciens français formés à l’étranger pourront servir de passerelle…
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