AINSI QUE L’EXPLIQUE le Professeur Hugues Tolou*, « si Aedes ægypti, originaire d’Afrique, qui est le vecteur historique, et le plus efficace, du chikungunya, ainsi d’ailleurs que de la dengue et de la fièvre jaune, est un moustique ayant entièrement colonisé les zones tropicales mais qui n’a pas la capacité de prendre pied dans les régions tempérées, il n’en est pas de même d’Aedes albopictus ou moustique tigre auquel certains arbovirus se sont adaptés grâce à de récentes mutations ».
« Jusqu’en 2005, le chikungunya n’était que très peu sorti de son berceau originel, à savoir l’Asie, l’Asie du Sud-Est et la côte asiatique de l’Afrique, indique le Dr Yvan Souarès**. L’épidémie de chikungunya qui a commencé dans les années 2005 à 2006, et a touché plus de 2 millions de personnes a frappé tout l’océan Indien, en passant par le Kenya, Madagascar, puis a atteint la Réunion, pour ensuite revenir sur le sous-continent indien », poursuit-il.
Quand albopictus entre en scène.
Ce brusque changement épidémiologique du chikungunya s’explique par l’existence de plusieurs lignages de virus, dont l’un d’entre eux, ouest africain, dénommé ECSA (East Central South African) est bien adapté à sa propagation par Aedes albopictus qui a une très large capacité d’extension (et qui peut aussi transmettre la dengue).
La dissémination d’Aedes albopictus, sorti de sa niche tropicale au début des années quatre-vingt, s’est largement effectuée dans le sillage de la mondialisation des échanges (par exemple grâce au commerce mondial de pneus rechapés et actuellement à celui des bambous décoratifs), empruntant toutes les voies de communications. De fait, celui-ci est maintenant sur tous les continents, notamment dans les régions tempérées et jusqu’en Alaska !
« Aedes albopictus a été signalé à plusieurs reprises depuis 3 à 4 ans en France, d’abord dans les Alpes-Maritimes, puis dans le Var et les Bouches-du-Rhône. Il le sera sans doute bientôt dans le Gard, l’Hérault et les Pyrénées-Orientales », indique le Pr Tolou.
En dépit des mesures extrêmement actives de contrôle des populations d’albopictus (stérilisation des foyers identifiés) son aire d’implantation s’est considérablement accrue depuis 2004.
Un moustique très abondant durant la période estivale.
Aedes albopictus vit essentiellement dans les régions urbanisées, au contact de l’homme qui est la principale source alimentaire des femelles qui ont besoin de sang humain pour effectuer leur cycle de reproduction. La moindre collection d’eau leur suffit pour déposer leurs œufs.
Si les insectes adultes peuvent sévir en France de mai à novembre, les œufs résistent à l’hiver pour éclore dès que les conditions redeviennent favorables.
Un système de surveillance très réactif.
Bien que l’existence de cas importés (Antilles, Inde…) de chikungunya en métropole soit une réalité ancienne (une centaine de cas annuels, mais plus de 800 en 2006), l’alerte de Fréjus en septembre 2010 (2 cas autochtones à partir d’un voyageur revenu d’Inde) a montré à la fois le risque potentiel de multiplication des cas autochtones de chikungunya durant la période de transmission (près de 300 cas en Italie du nord durant l’été 2007 !) et la nécessité de disposer d’un système d’alerte et d’action très efficace, ce qui a été heureusement le cas en l’espèce.
« Le plan de surveillance renforcée dans les départements colonisés par Aedes albopictus comprend la surveillance des cas suspects, avant même de disposer d’un résultat biologique de confirmation, afin de diminuer le délai de réaction, le placement du patient sous moustiquaire, l’emploi de répulsifs, une prospection entomologique et la mise en œuvre d’une éventuelle lutte antivectorielle menée par l’Entente interdépartementale de démoustication », précise le Dr Souarès.
Devant une symptomatologie évocatrice, trois questions clés doivent être posées au patient : « Avez-vous voyagé dans une zone de circulation virale dans les deux semaines – délai maximal d’incubation, qui a précédé le début des signes, en général la fièvre ? », « Quand les signes ont-ils débuté ? » et « Quand êtes-vous revenu ? ».
Vers un nécessaire changement de paradigme
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« Aujourd’hui il n’est plus question d’envisager une éradication de ce moustique, bien que nous disposions d’insecticides actifs et se préparer à ce qu’il gagne encore du terrain », prévient le Pr Tolou. L’enjeu est aujourd’hui de ralentir fortement son extension et de lutter aussi efficacement que possible contre la survenue et la multiplication de cas autochtones.
Mais cela ne peut passer que par une prise de conscience de tous, population et décideurs politiques, préviennent les deux experts. Et d’apprendre à vivre avec la menace de certaines arboviroses, comme le chikungunya et la dengue, qu’il ne faut pas oublier (2 cas autochtones à Nice, ville colonisée par albopictus, en 2010).
En effet, il faut savoir qu’on est le plus souvent piqué par les moustiques qu’on abrite chez soi ; dans les bacs à fleurs ou dans le jardin, par exemple.
« Allons-nous être tous capables de nettoyer régulièrement nos gouttières, qui peuvent représenter autant de gîtes de pontes pour albopictus, de vider nos jardins de tous les détritus qui s’y trouvent et de remplacer systématiquement l’eau des coupelles des pots de fleurs par du sable humide ? » interroge le Dr Souarès.
Il est également absolument essentiel de ne surtout pas baisser la garde et de maintenir un haut degré de surveillance et de réactivité et donc d’y affecter les moyens adéquats.
** Médecin épidémiologiste, Département des maladies infectieuses à l’Institut national de Veille Sanitaire et Coordonnateur national de la surveillance des maladies à transmission vectorielle pour l’InVS.
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