Le Quotidien du pharmacien. - Comment pourrait-on résumer en quelques mots la vocation du Nutri-Score, et le risque de « détricotage » qui, selon vous, le menace ?
Pr Serge Hercberg. - Le Nutri-Score est un outil de santé publique simple qui est véritablement né en octobre 2017. Il s'agit d'un indicateur, affiché sur la face avant des produits alimentaires, qui permet d'aider le consommateur à orienter ses choix vers des aliments de meilleure qualité nutritionnelle. Il vise à faciliter la capacité du consommateur à comparer la qualité nutritionnelle des produits et d'intégrer, s'il le souhaite, cette dimension lors de ses achats. Cette démarche est liée au fait qu'on sait que face aux grands enjeux de santé publique en rapport avec la nutrition - obésité, diabète, maladies cardio-vasculaire, etc - il est indispensable d'aider les citoyens à prendre en compte ce paramètre dans leur décision d'achat. Ce n'est ni une prescription, ni une obligation, c'est une information donnée en transparence sur la qualité nutritionnelle des produits. Et c'est un outil simple et intuitif, compréhensible par tous d'emblée et qui ne nécessite pas d'interpréter des tableaux de valeurs tels que ceux présents sur les emballages.
La seconde vocation du Nutri-Score, au-delà de l'information du consommateur, vise à pousser les industriels à reformuler leurs produits. C'est-à-dire qu'en instaurant une compétition nutritionnelle, on incite les fabricants à produire des aliments un peu moins gras, moins sucré et moins salé pour être mieux classés sur l'échelle du Nutri-Score.
Sur la menace de son « détricotage », il faut revenir un peu sur l'histoire du Nutri-Score. Jusqu'à présent, l'affichage du Nutri-Score était volontaire. La réglementation européenne empêchait les Etats de le rendre obligatoire. Mais l'Europe a décidé, suivant sa stratégie « de la ferme à l'assiette », de choisir un logo obligatoire pour l'Europe en 2022. D'où l'inquiétude des secteurs alimentaires de la charcuterie et des fromages dont les produits sont plutôt mal classés en termes de Nutri-Score… Ces producteurs se sont donc lancés dans des campagnes visant à décrédibiliser le Nutri-Score. Leur objectif ? Bloquer son adoption au niveau européen, ou pour le moins, le dénaturer en demandant des modifications, voire des exemptions.
Pourquoi l’existence d’AOP (Appellations d'origine contrôlée) ou d’IGP (Indication géographique protégée) ne peut être valablement avancée par les producteurs de fromages et de charcuteries pour délégitimer le Nutri-Score ?
Les AOP et les IGP font référence à un cahier des charges qui précise leur attachement au terroir, le savoir-faire ancestral, le patrimoine gastronomique, qui sont des valeurs très importantes, certes, mais qui n'intègrent aucunement dans leur définition quoi que ce soit qui touche à leur composition nutritionnelle. Ces appellations ont une dimension bien différente du Nutri-Score. C'est donc sans aucune base scientifique que les secteurs concernés demandent une exemption. Il est naturellement important de dire au consommateur, par ces labels, que le produit est fabriqué localement de façon vertueuse, mais AOP et IGP ne préfigurent absolument pas ses qualités nutritionnelles.
Votre tribune pour la défense du Nutri-Score pointe le comportement de certains élus. Pouvez-vous nous dire ce que vous mettez en cause précisément ?
Ce que nous avons observé avec cette campagne menée par les fabricants de fromages et de charcuteries, qui au passage sont plutôt de grands groupes industriels que de petits producteurs, c'est l'émergence d'un certain nombre d'hommes et de femmes politiques - que nous n'avions jamais vu jusque-là se préoccuper des questions d'alimentation -, se présentant comme les grands défenseurs des intérêts économiques régionaux et des petits producteurs. C'est souvent, bien malheureusement, pour des raisons très électoralistes, ou par incompétence, qu'aujourd'hui ces élus partent en guerre contre le Nutri-Score. Leur engagement est d'autant plus absurde qu'ils n'évoquent jamais les questions de santé publique, mais parlent plutôt de la défense des valeurs traditionnelles ou d'intérêts économiques.
Plus globalement, comment peut-on concilier plaisirs de la gastronomie et respect des règles diététiques garantes d’une bonne santé ?
Rappelons d'abord qu'un produit classé D ou E peut tout à fait faire partie d'une alimentation équilibrée. Simplement ce classement rappelle au consommateur que cet aliment doit être consommé de façon raisonnable, ni trop fréquemment, ni en trop grande quantité. Au-delà, je veux insister sur un point : il n'y a pas d'opposition entre plaisir et santé. Les recommandations santé ne s'opposent pas à la gastronomie, et inversement.
Il existe en outre de nombreux aliments plaisir qui font partie du patrimoine gastronomique et sont très bien classés par Nutri-Score. D'autre part, je le redis, le Nutri-Score alerte tout simplement. Si j'aime le chocolat, le Roquefort ou les rillettes, premièrement j'évite d'en consommer tous les jours et en grande quantité, et puis j'essaie de rééquilibrer par ailleurs mon repas ou ma journée alimentaire.
En lui fournissant une information, le Nutri-Score aide le consommateur à moduler son alimentation pour qu'elle reste favorable à la santé, tout en gardant une part de plaisir. On n'interdit pas de manger tel ou tel aliment, on invite à l'équilibre. En diététique aussi, c'est la dose qui fait le poison, et surtout, on peut diluer le poison si on mange dans le reste du repas ou de la journée des aliments un peu plus équilibrés.
Pas de caractère stigmatisant donc du Nutri-Score ?
Lorsqu'on observe nos études d'impact du Nutri-Score, on voit bien que les consommateurs ont le bon comportement. S'ils constatent que les fromages sont tous classés D et E, ils n'arrêtent pas pour autant d'en acheter. Simplement, ils choisissent d'en manger moins. En revanche pour des produits tels les pizzas ou les céréales pour petit-déjeuner classés de A à E, ils vont plutôt orienter leur choix vers les aliments les mieux classés.
Quel est votre avis sur les applications, telle Yuka, destinées à guider les consommateurs lorsqu'ils font leurs courses ?
Ces applications ont eu un intérêt pour sensibiliser les consommateurs, les industriels et les pouvoirs publics sur la question de la composition des aliments. Mais, pour prendre l'exemple de Yuka, cette appli utilise un indicateur qui, scientifiquement, n'est pas parfaitement solide dans le sens où il n'existe pas de base qui permet d'agréger la nutrition, les additifs, la transformation, le bio… Si ces applications ont permis de sensibiliser le public et de contourner les industriels qui refusaient d'afficher le Nutri-Score, elles s'avèrent peu pratiques pour faire ses courses. Cela prend trop de temps de « scanner » tous les produits à comparer. De plus, on constate qu'elles ne sont pas utilisées par les populations justement les plus à risques. Donc elles ne remplacent pas le logo qui permet en quelques secondes et d'un coup d'œil de se faire une idée sur la valeur nutritionnelle de l'aliment.
Quel accueil a reçu votre tribune ? Qu’en attendez-vous concrètement ?
Cette tribune visait à interpeller les pouvoirs publics sur le fait que ces campagnes visant le Nutri-Score n'étaient pas légitimes. À faire passer le message auprès des politiques, qu'il ne faut pas faire jouer cette carte électoraliste mais prendre en considération la dimension de santé publique. Notre tribune initialement parue dans Le Monde comptait 10 signataires, puis de nombreux professionnels de santé ont souhaité s'associer. Aujourd'hui plus de mille signatures sont venues nous rejoindre. Ce que nous espérons, c'est qu'elle permette de faire prendre conscience aux différents acteurs que le Nutri-Score a un intérêt de santé publique et est un outil nullement stigmatisant. Il faut convaincre que cet outil ne doit pas être combattu au nom d'intérêts financiers, économiques ou politiques. J'ai bon espoir que les instances européennes ne céderont pas aux pressions des lobbys industriels et agricoles.
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