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Médicaments : des intox à prendre au sérieux

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Publié le 23/03/2021
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Volontaires ou accidentelles, les intoxications aiguës sont en France à l’origine d’une morbi-mortalité significative. Elles constituent même l’un des principaux motifs d’hospitalisation des sujets jeunes. En tant que « gardien des poisons », le pharmacien doit en connaître les principales causes, pour les éviter, mais aussi les premiers symptômes, pour une prise en charge réactive et efficace.
En pharmacie, comme en toxicologie, c'est souvent la dose qui fait le poison

En pharmacie, comme en toxicologie, c'est souvent la dose qui fait le poison
Crédit photo : PHANIE

La discordance entre les spécialités les plus prescrites et celles qui induisant les intoxications les plus sévères invite à réaliser une partition entre des intoxications fréquemment observées dans les services d’urgence mais dont les conséquences restent généralement peu préoccupantes, et d’autres, plus rares, mais qui mettent souvent en jeu le pronostic vital.

Les intoxications fréquentes

La fréquence de l’usage des psychotropes explique leur importance toxicologique, l’intoxication résultant généralement d’une tentative de suicide. Les intoxications par benzodiazépines entraînent un coma calme hypotonique susceptible de s’accompagner de complications ventilatoires. Des effets paradoxaux avec agitation et agressivité ne sont pas exceptionnels. La prise en charge se résume à une surveillance cardio-tensionnelle avec mise en place d’une voie veineuse périphérique. Un coma profond et une dépression respiratoire alarmante justifient l’administration d’un antagoniste des BZD, le flumazénil (Anexate). L’intoxication par antipsychotiques peut être à l’origine d’un coma, mais aussi de signes extra-pyramidaux avec dyskinésies, voire d’un syndrome malin des neuroleptiques avec hyperthermie, rigidité musculaire, troubles du système nerveux autonome. La prise en charge, symptomatique, requiert souvent l’administration de correcteurs anticholinergiques (Artane, Lepticur). L’intoxication par antidépresseurs peut-être sévère lorsqu’elle suit l’usage de tricycliques, qui expose à un risque létal notamment par trouble du rythme cardiaque justifiant un traitement symptomatique avec ventilation artificielle, remplissage vasculaire et surveillance durable en raison d’une demi-vie prolongée. Les inhibiteurs de la recapture de la sérotonine exposent à un risque de syndrome d’hypersérotoninergie qu’accompagnent sueurs, diarrhées, troubles de la conscience, troubles cardio-tensionnels, avec un bon pronostic en général sous surveillance étroite.

Les antiépileptiques, fréquemment prescrits aussi comme normothymiques, sont à l’origine de signes essentiellement neurologiques avec somnolence, confusion mentale, parfois coma profond hypotonique. Les intoxications massives induisent des convulsions, une altération hémodynamique, une acidose métabolique et une détresse respiratoire. L’acide valproïque et le divalproate entraînent parfois une atteinte hépatique sévère pouvant imposer une greffe de foie.

L’intoxication aiguë par les AINS reste généralement bénigne ; les complications sévères sont d’ordre métabolique et neurologique. Toutefois, faisant exception par sa banalité et sa relative gravité, l’intoxication salicylée induit une hyperventilation accompagnée de troubles métaboliques, hyperthermie avec déshydratation extra- et intracellulaire, insuffisance rénale, imposant une réanimation hydroélectrolytique avec alcalinisation de l’urine, voire hémodialyse.

Les intoxications sévères

Le paracétamol, fréquemment incriminé dans les intoxications (lire notre article ci-dessous), est connu pour son hépatotoxicité qui, à compter de 10 à 15 g chez l’adulte (mais parfois moins) s’accompagne de douleurs abdominales, de nausées et vomissements, d’anorexie et de pâleur, des signes d’apparition souvent tardive pouvant se conclure par une hépatite fulminante fatale. L’hospitalisation s’impose souvent avec traitement symptomatique et administration massive d’acétylcystéine.

L’intoxication par opioïdes est devenue fréquente avec la généralisation des traitements de substitution par méthadone et la banalisation de la prescription d’antalgiques de palier 3. Elle expose avant tout à une dépression respiratoire et à des signes neurologiques. La réponse est symptomatique mais passe aussi par l’administration d’antagonistes des opiacés présentés désormais sous des formes spécifiquement adaptées (naloxone = Nalscue, Prenoxad).

Indiqués en prévention des complications thrombo-emboliques et de la récidive en post-infarctus ou dans les pathologies thrombo-emboligènes (fibrillation auriculaire notamment), les antivitamine K (AVK) sont prescrits en relais de l’héparinothérapie dans les thromboses veineuses et pulmonaires notamment. Le surdosage est souvent involontaire et son diagnostic alors avant tout biologique. Il s’accompagne de signes évidents (épistaxis, gingivorragies, hématomes) ou non (hématome cérébral ou péritonéal), et le pronostic vital peut être mis en jeu de façon insidieuse. L’antidote est la vitamine K1 administrée par voie orale ou veineuse avec surveillance rapprochée de l’INR. Un syndrome hémorragique sévère impose l’injection de plasma frais congelé ou de facteurs vitamine-K dépendants.

Les digitaliques sont à l’origine d’intoxications dues à un mésusage du traitement, souvent chez le sujet âgé peu attentif et irrégulièrement observant. Elles se traduisent par des signes digestifs et neurosensoriels précédant des anomalies cardiovasculaires et des troubles du rythme (expliquant une sévérité accrue par l’hypokaliémie fréquente chez le patient âgé). La prise en charge en réanimation sera immédiate, avec traitement évacuateur, correction des troubles hydro-électrolytiques, prise en charge symptomatique des signes cardiaques (lidocaïne) et administration d’un antidote spécifique (Digidot).

Ayant elle aussi un index thérapeutique étroit, la colchicine n’est cependant que rarement à l’origine d’intoxications. En revanche, les conséquences des surdosages sont souvent sévères car responsables d’une atteinte multiviscérale avec défaillance cardiaque, ventilatoire, hépatique, rénale, neurologique et hématologique (hyperleucocytose, hypoplasie médullaire), les signes cliniques apparaissant dans les 5 à 12 heures suivant l’intoxication. Le traitement reste purement symptomatique, en réanimation, avec maintien de l’homéostasie hydro-électrolytique, correction des troubles hématologiques et de la coagulation.

Vu son spectre d’administration, l’insuline expose à un risque toxique à tous les âges de la vie. Elle entraîne un décès dans 4 à 8 % des cas, dans un tableau d’hypoglycémie se résumant cependant souvent à de la confusion mentale, de la nervosité, des vertiges, une sensation de faim, des sueurs, des tremblements et des palpitations. Les formes sévères s’accompagnent de signes neurologiques (encéphalopathie hypoglycémique). Le traitement passe par l’administration de solutés sucrés hypertoniques et par une prise en charge symptomatique.

Popularisées par le Covid-19, la chloroquine et l’hydroxychloroquine exposent à une intoxication redoutable par la gravité des troubles du rythme soudains et précoces parfois fatals, associés à des anomalies métaboliques, des troubles respiratoires et digestifs. La prise en charge impose généralement un suivi en réanimation.

 

Nicolas Tourneur

Source : Le Quotidien du Pharmacien