LE QUOTIDIEN DU PHARMACIEN.- Vous venez d’achever un tour du monde pas banal intitulé « le Tour du monde d’une jeune diabétique ». Qu’est-ce qui vous a donné l’idée de vous engager dans cette aventure à la fois sportive, humaine et médicale ?
DELPHINE ARDUINI.- J’ai rencontré mon mari Christophe à l’étranger lors de nos études, nous avons ensuite fait de l’expatriation au Mexique, au Kosovo. Les voyages et la découverte c’est quelque chose que nous avons au fond de nous. On s’est toujours dit qu’un jour on partirait pour un long périple, plus long que 2 ou 3 semaines de vacances. Ce tour du monde est vraiment né d’une passion commune et ancienne. Cela dit, une fois la décision prise, il a fallu gérer le problème du diabète… Ce n’était pas un frein à la réalisation du projet, mais cela nécessitait de notre part une réflexion supplémentaire.
Depuis quelques années que j’entreprends des treks au Népal ou ailleurs, je me suis souvent posé la question : je ne suis sans doute pas la première diabétique à faire cela, mais où trouver les infos pratiques qui faciliteraient la gestion de mes traitements ? Je n’arrivais jamais à obtenir auprès des laboratoires et des associations de patients les réponses à mes questions pratiques : comment mon insuline tiendra-t-elle le coup à 5 000 mètres d’altitude ? Comment mes testeurs de glycémies fonctionneront-ils dans ces conditions ? Voilà ce qui m’a donné l’idée de mettre au point ce tour du monde, afin d’avoir enfin ce retour d’expérience de diabétique que je ne trouvais nulle part. De là est partie l’idée de communiquer autour du voyage envisagé aussi bien vers le grand public, qu’auprès des autres diabétiques. L’autre projet consistait à fédérer les diabétiques et leur offrir le fruit de mon expérience en leur démontrant que faire un trek ou de la plongée, c’est possible.
Comment avez-vous procédé pour entrer en contact avec les diabétiques dans les différents pays traversés ?
J’ai d’abord essayé d’établir un pont entre les diabétiques et moi par l’intermédiaire de l’IDF (la Fédération Internationale du diabète), et par le contact direct avec les associations locales. Le résultat a été très décevant puisque nous n’avons eu aucune réponse. Comme je suis équipé d’une pompe à insuline (N.D.L.R., depuis 2 ans) et de capteurs de glucose dont la gestion technique est assez lourde j’ai contacté les laboratoires pharmaceutiques qui me fournissent en insuline et en matériel. Après leur avoir expliqué le projet, je leur ai demandé s’ils pouvaient m’aider d’un point de vue logistique et matériel pour récupérer les consommables de la pompe et l’insuline d’une part, et par ailleurs s’ils pouvaient via leurs antennes locales dans les pays me fournir des contacts. Ce projet a notamment été rendu possible grâce à eux.
Quelles sont les rencontres qui vous ont le plus marqué ? Pour quelles raisons ?
Il y a eu beaucoup de rencontres extraordinaires. En Thaïlande par exemple, où des diabétiques de type 1 et de type 2 étaient réunis à l’occasion d’une journée que nous avions entièrement consacrée à l’éducation nutritionnelle du diabétique. À Tokyo aussi où j’ai rencontré des diabétiques de type 1, comme moi. Il y a aussi eu des rencontres avec des patients assez mal traités. En Inde, par exemple, où la vision de la maladie est très différente de la nôtre. Le diabète y est considéré comme une maladie taboue. Les malades sont assez mal informés de l’offre thérapeutique et sont généralement soignés à base de plantes. Les médecins indiens d’une clinique ayurvédique m’ont ainsi raconté que lors de la découverte d’un diabète de type 1, ils soignaient au début avec 50 % d’insuline et 50 % de plantes pour arriver au bout de quelques mois à 100 % de plantes. Et que ça marchait ! Le système des castes frappe aussi les habitudes de soins. Les gens qui ont les moyens se soignent de façon occidentale, les autres ont recours à la médecine ayurvédique… Et parfois en meurent. En Polynésie française également j’ai eu quelques surprises : la prise en charge du diabète est bien différente de celle de la métropole. L’assurance-maladie n’est pas la même, ils ont des insulines différentes n’ont pas accès à la pompe à insuline… C’est assez frustrant de constater qu’en 2010 dans le même pays, il y a de telles différences de traitements.
Pouvez-vous nous expliquer votre traitement, la technique utilisée, et les difficultés que pouvait engendrer sa gestion au jour le jour ?
Paradoxalement cela n’a pas été si difficile que ça pour moi. J’ai vécu ces 355 jours de voyage presque comme à la maison. Il y a eu bien sûr quelques hyperglycémies, explicables pour la plupart parce que j’avais trop mangé ou que quelque chose n’avait pas fonctionné dans la pompe à insuline. Des hypoglycémies également logiques. Et parfois des hypo- ou des hyper- qui ne s’expliquent pas, parce que le diabète n’est pas exactement une science exacte. Cela dit, il y a eu des pays plus faciles que d’autres. La Polynésie française, l’Australie, la Thaïlande ou l’Asie du Sud Est où le riz par exemple est facile à trouver car c’est l’aliment de base. Côté conservation de l’insuline, elle est restée à température ambiante même si cela n’est pas prévu par les AMM. C’est surtout les variations de températures que n’aime pas l’insuline et qu’il a fallu éviter. Tous les 3 mois un laboratoire m’alimentait en insuline à des points de rencontre.
Comment faisiez-vous pour ajuster votre alimentation, et vos efforts, en fonction des pays traversés ?
Dans les pays que j’évoquais tout à l’heure, l’équilibre alimentaire était facile à atteindre avec peu de graisses, toujours une portion de féculent, une de viande et une de légume. Et dans certains pays, comme le Japon ou l’Australie, il y avait en plus les produits laitiers que l’on pouvait trouver facilement au supermarché, comme en France. D’autres destinations, comme le Népal, étaient un peu plus compliquées. L’alimentation y est très grasse et riche. Plus vous montez en altitude, moins vous avez de fruits et de légumes, mais la contrepartie c’est que l’effort physique du trek compense cet apport excessif de calories. Finalement au Népal j’ai eu une parfaite glycémie. En revanche la Mongolie a été plus difficile, le régime y est également très riche en graisse et totalement dépourvue de fibres, mais nous étions très sédentaires. Pour un diabétique ce sont les pires conditions. J’ai été obligée d’augmenter mes doses d’insuline.
Quel est le principal enseignement que vous avez tiré de cette aventure ? Qu’avez-vous apporté, selon vous, aux diabétiques rencontrés au décours de votre périple ?
Pour moi-même, ce que j’ai tiré comme leçon, c’est que lorsqu’on a un rêve en tête, il faut essayer de le vivre. Je suis sorti de cette aventure fière et rassurée. Le monde me paraît désormais plus accessible. Par rapport aux autres diabétiques, ce qui nous a touchés, Christophe et moi, c’est qu’il y a au moins 250 diabétiques qui nous ont suivis par l’intermédiaire de notre blog et qui nous ont envoyé régulièrement des messages personnels. Des messages du type : « votre aventure nous a redonné espoir et courage, à tel point que nous allons entreprendre un grand voyage, projet que nous avions abandonné depuis 20 ans avec mon mari diabétique ». Rien que ça, cela fait chaud au cœur.
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