LE QUOTIDIEN DU PHARMACIEN.- Pouvez-vous, en tant que médecin, résumer votre démarche thérapeutique, qui laisse délibérément de côté le médicament, sans en négliger les bénéfices ?
DR FRÉDÉRIC SALDMANN.- Je voudrais d’abord rappeler qu’en tant que médecin hospitalier je prescris régulièrement des médicaments. Simplement je prescris le moins possible, et seulement lorsque c’est nécessaire. Ne pas prescrire du tout, c’est extrêmement difficile, car c’est assez mal accepté par les patients. En pratique, il faut savoir qu’une consultation qui s’achève sur une ordonnance blanche prend beaucoup plus de temps qu’une autre qui finit chez le pharmacien. Il faut prendre le temps d’expliquer, et s’assurer que la démarche est bien comprise. Tout cela est très chronophage. Prenons pour exemple le syndrome métabolique. Chaque fois que je peux bien motiver les gens pour qu’ils pratiquent de l’exercice physique, qu’ils modifient leur mode alimentaire avec moins de sel, moins de sucre, etc... Et que j’ai le plaisir de constater que, sans médicament, ils sont parvenus à réguler à la fois leur pression artérielle, leur cholestérol et leur sucre, je suis extrêmement satisfait. C’est une approche qui nous amène à être pratiquement des coachs pour le patient, qui doit être en outre déterminé à suivre vos conseils. Dans ces conditions seulement, on parvient à faire un boulot formidable.
Il faut aussi un certain niveau de compréhension de la part de vos patients ?
Le livre a eu un impact important et il contribue certainement à cette meilleure compréhension. Et c’est sans doute lié au fait que les gens commencent véritablement à se prendre en charge. J’observe depuis un an une réceptivité que je n’avais jamais ressentie à ce point depuis trente ans que j’exerce. Les patients sont réellement motivés. Et c’est vrai qu’en traitant par mesures hygiénodiététiques les facteurs de risque cardio-vasculaires on fait du bien meilleur boulot que lorsqu’on les traite par une série de médicaments.
Cette réceptivité nouvelle de vos patients n’est-elle pas aussi le résultat d’une certaine défiance à l’égard du médicament ?
C’est vrai qu’il y a une certaine défiance. Par exemple il y a eu pas mal de remous autour de la question du cholestérol. Ce qui a fait que les gens se sont interrogés et ont fini par admettre que s’ils se prenaient en charge ils pouvaient changer le cours de l’histoire dans de nombreux domaines. Ils ont en même temps bien compris que, dans certains cas bien précis, comme le traitement des cancers, il fallait continuer de recourir au médicament. Je ne parle pas de la prévention des cancers, je parle bien du traitement.
Voyez-vous les pharmaciens adopter une telle démarche dans le cadre des nouvelles missions qui leur sont accordées ?
Absolument. Mais je pense que pour que ces missions soient efficaces, il faut les appréhender comme du coaching, et dans ce cadre il faut des partenaires. Dans cette nouvelle approche de coaching de prévention, le pharmacien peut jouer un rôle essentiel de conseil pour remotiver le patient. Lui expliquer que parallèlement au médicament, il existe d’autres solutions. C’est une démarche qui ne peut bien sûr pas se développer dans un supermarché. L’espace pharmacie est le lieu adapté à ce type d’approche. Les pharmaciens peuvent notamment aider les médecins dans les domaines de la prévention cardio-vasculaire ou de la régulation de la glycémie. D’autant que les aliments diététiques sont très présents dans les linéaires des officines.
Plus précisément, dans votre chapitre consacré aux troubles gastro-intestinaux, vous proposez quelques solutions originales et de bon sens, mais aussi les grands classiques du conseil hygiénodiététique. Votre démarche ne vise-t-elle pas surtout la réhabilitation de l’hygiène et de la nutrition dans la prise en charge thérapeutique ?
Tout à fait. Prenons l’exemple de la constipation : prendre des laxatifs tout au long de l’année, c’est très irritant au niveau colique. Dès lors que je propose à mes patients d’adopter une alimentation riche en fibre et une posture aux toilettes qui « marche » très bien (N.D.L.R., position imposée par les toilettes à la Turque), la plupart d’entre eux me disent que cela leur permet d’arrêter complètement les laxatifs. Voilà un résultat patent qui me convient bien car je préfère qu’on réserve les laxatifs à l’usage occasionnel et qu’on abandonne l’utilisation quotidienne.
Les laboratoires ne vous détestent-ils pas ?
Quelque part, ils doivent accepter que les prescripteurs renouent avec les fondamentaux. En s’assurant par exemple, avant de prescrire des traitements anticholestérol, que les mesures diététiques sont bien respectées. J’agace certainement certains laboratoires, et en même temps, ils admettent que ma démarche est l’une des clés de la prise en charge thérapeutique au sens large du terme, et qu’elle répond aussi à leur préoccupation.
Comment faire pour que votre approche n’alimente pas le climat de défiance actuelle, parfois justifiée, à l’égard des médicaments ?
Je ne mène pas un combat contre le médicament. Je me bats pour qu’on utilise le médicament autrement. Je répète : les médicaments essentiels, il faut les prendre sans hésitation, mais quand on peut s’en passer parce qu’il existe d’autres solutions efficaces, il faut les réserver au dernier recours. Par exemple, concernant les antibiotiques, je pousse à fond sur les règles d’hygiène, ce qui a pour effet de baisser le niveau de risque d’infection. On sait ainsi que le lavage des mains systématique en sortant des toilettes et avant de passer à table fait baisser de 23 % l’incidence des infections respiratoires et digestives par an. L’hygiène est un formidable outil de prévention qui permet de consommer moins d’antibiotique. Autre exemple, on a tous les ans 100 000 cas de ténias en France. Si on congèle le poisson à manger cru ou la viande de bœuf avant de déguster un tartare, on se débarrasse des parasites indésirables.
Votre livre est d’abord destiné au grand public, mais qu’en pensent les professionnels de santé, et notamment les pharmaciens ?
J’ai eu la bonne surprise d’apprendre que mon livre était devenu un formidable outil de communication dans les officines. Qu’il avait ouvert un nouveau dialogue entre les pharmaciens et leurs clients. Globalement, mon approche a reçu un très bon accueil de la part des pharmaciens.
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