Les années exceptionnelles de 2020-2022 ont définitivement été absorbées en 2023, la marge (en valeur absolue) ayant décroché l’année dernière de 4,60 % (Fiducial), de 8,25 % (CGP), voire de 8,70 % (KPMG). « Or il s’agit de moyenne. Pour certaines officines en très grande souffrance, la cote d’alerte est plus que dépassée. Leur trésorerie est dégradée, avec la rentabilité et une marge qui diminuent », constate Emmanuel Leroy. « A contrario, note l’expert-comptable, il y a un certain nombre d’officines dont la marge brute superforme. Il va donc falloir identifier dans ces pharmacies les leviers de croissance. Et dupliquer ces bonnes pratiques sur les officines en difficulté. Mais il faut le reconnaître la sortie de crise sera, pour elles, difficile. Elle n’est pas garantie. »
En valeur, cependant, en 2023, le volume de marge brute globale reste supérieur à celui de 2021. Les pharmaciens ont engrangé en moyenne entre 625 000 euros et 694 000 euros en 2023. Soit entre 103 000 et 127 300 euros de plus qu’en 2019 ! En revanche, 30 000 à 65 000 euros de moins qu’en 2022, année à l’issue de laquelle la marge avait connu son apogée. Les charges qui pèsent sur l’officine viennent dégrader la rentabilité. Mais elles ne sont pas seules responsables. Les experts-comptables notent une dérive toute naturelle « quand le revenu monte, on a tendance à augmenter son train de vie ». Cela ne veut pas dire que les pharmaciens ont pris plus de rémunération mais, dans certaines officines, analyse Emmanuel Leroy, il a pu cependant arriver que des titulaires aient été moins attentifs à certaines dépenses, à certaines charges. « Et là, ils sont rattrapés au galop par la baisse de la marge en euros. »
Le challenge sera donc de mieux maîtriser les coûts à l’avenir et d’appliquer une gestion plus rigoureuse. À leur corps défendant, il y a deux ou trois ans, lorsque les trésoreries étaient à flot, les titulaires se sont vu conseiller par leurs experts-comptables de profiter de cette période de vaches grasses pour investir dans du matériel, dans un leasing ou agrandir leurs locaux. Cela vaut également pour les pharmacies qui connaissaient de grandes difficultés avant le Covid. « Elles ont pris les nouvelles missions à bras-le-corps, ont renfloué leur BFR, se sont libérées de certaines dettes et même ont embauché du personnel. Aujourd’hui, la situation redevant identique à celle de 2019, ces pharmacies sont à nouveau en grande souffrance », observe Emmanuel Leroy. « Certaines officines n’ont pas bénéficié du Covid, renchérit Joël Lecoeur. Elles n’ont pu dégager de trésorerie excédentaire et par conséquent bénéficier d’un peu d’avance. Ces pharmacies sont en grande difficulté aujourd’hui. » Des constats pessimistes quant à l’évolution du réseau officinal qui a déjà perdu 130 officines entre le mois de février et le mois d’août.
Trésorerie : le retour de bâton
Tendues en 2023, les trésoreries continuent de fondre au premier semestre 2024. Selon les observations de Fiducial sur 95 officines de la région Centre qui peuvent cependant être étendues à la France entière, les pharmacies subissent une attrition de 7,4 % de leur niveau de trésorerie. « Soit une chute de 264 500 euros au premier semestre 2023 à 244 900 euros en moyenne, cette année », note Bertrand Cadillon, responsable du département pharmacie chez Fiducial. Une approche mois par mois du volume de trésorerie comparé à celui du mois de référence 2023 permet d’établir que la situation s’est détériorée au cours de plus de la moitié des mois. Ramenée par tranches de trésorerie, la baisse a particulièrement frappé les pharmacies disposant d’une réserve de 200 000 à 400 000 euros. Le niveau reste en revanche stable pour les trésoreries d’un niveau supérieur à 800 000 euros et il est même en progression pour celles inférieures à 50 000 euros. De manière générale, cependant, les trésoreries se dégradent en raison de la baisse de la rentabilité et de la marge. Une situation que les titulaires n’avaient plus connue depuis le début des années Covid. Ils s’étaient même habitués à confondre rentabilité et trésorerie, tant celle-ci était florissante. Les experts-comptables qui font aujourd’hui ce constat ont été également ceux qui ont conseillé à l’époque à leurs clients de profiter de cette trésorerie remise à flot pour investir - à raison- dans du matériel, robotisation notamment, ou dans l’agencement de leur officine. De même, nombre de pharmaciens, fatigués par la gestion de la crise sanitaire, n’ont pas hésité à augmenter les effectifs de leurs équipes. Aujourd’hui, face à une marge qui se détériore au premier semestre -à 28,51 % du chiffre d’affaires selon les premières projections de CGP-, le retour de bâton s’annonce. À tel point que, observent les experts-comptables, certains titulaires hésitent désormais à délivrer des produits chers. De peur qu’un indu ne vienne définitivement plomber leur trésorerie.
M. B.
Article précédent
Masse salariale, grosse consommatrice de marge officinale
Article suivant
En 2023, l’Excédent brut d’exploitation (EBE) semble assailli de toutes parts
2019 doit-elle être une année de référence ?
Médicaments chers : poids lourds de l’activité officinale
Masse salariale, grosse consommatrice de marge officinale
Une marge rognée par les coûts
En 2023, l’Excédent brut d’exploitation (EBE) semble assailli de toutes parts
Vers un retour à la raison ?
Les indicateurs restent cohérents au premier semestre
L’officine séduite mais sceptique sur la rentabilité
Vente en ligne des médicaments : « Ma Pharmacie en France », en pratique
Nouvelles missions : un atout ou une charge pour l’officine ?
Le pouvoir politique a cherché à opposer les professions de santé les unes aux autres
Rentables ou pas, les nouveaux services réclament l'engagement des officinaux
« Notre objectif : faire gagner du temps et améliorer la qualité des soins »