« Depuis vingt ans les ventes de médicaments en officine de ville enregistrent, d’années en années, un tassement voire une légère érosion », selon la société d’étude IMS Health. Et les choses ne devraient pas s’arranger. Bien au contraire ! « Selon les experts du secteur, d’ici à cinq ans, ce ralentissement, estimé à -0,6 % en 2016, devrait perdurer et sans doute s’accélérer », explique Hélène Charrondière, directrice du pôle Études au sein du groupe Les Échos.
Un phénomène qui trouve principalement sa source dans les politiques conduites par les différents gouvernements ayant dirigé l’Hexagone, puisque tous avaient en commun de vouloir « réguler les dépenses de remboursements pharmaceutiques afin de rééquilibrer les comptes sociaux via des baisses de prix, des déremboursements et une accélération de la générification ». Conséquence : selon IMS Health, la France sera le seul marché européen en involution (-6 %) dans les cinq prochaines années ».
Quatre principaux gisements de croissance
Face à cette tendance déflationniste du marché officinal, les représentants de la profession s’emploient à « rendre autant que possible l’économie de l’officine moins dépendante du médicament remboursable ». Dans cette optique, diverses solutions ont été identifiées depuis une dizaine d’années ; avec à la clé « la mise en place de nouvelles missions et de nouveaux services qui engendreront une diversification de l’activité de pharmacien et donc une profonde mutation de la pharmacie d’officine française », explique Gilles Bonnefond président de l’USPO. Rien de révolutionnaire pour autant, puisque ces grandes tendances ont pu être observées dans d’autres pays européens et francophones.
À l’horizon 2020-2025, à l’instar de ce qu’ont mis en place certains pays comme la Suisse, la Belgique ou encore le Québec, « pour compenser l’érosion de la marge les officines hexagonales devraient ainsi exploiter quatre principaux gisements de croissance : le développement des marchés hors AMM, la diversification des activités en fonction des zones de chalandises, le développement des services aux patients et l’évolution des formats des espaces de vente avec une digitalisation des espaces », explique Philippe Gaertner, président de la FSPF.
Dans le cadre du virage ambulatoire initié par la loi HPST (Hôpital, Patients, Santé, Territoires) et poursuivi par la loi de santé, dite loi Touraine, les officines françaises vont ainsi « être amenées à développer des activités connexes à la dispensation comme le MAD (maintien à domicile), le portage de médicaments, la PDA (préparation de doses administrées)… Sans oublier l’installation de corners d’optique et d’audioprothèse, d’espaces de prévention et de dépistage comme en Espagne pour le VIH et le cancer du côlon ou encore en Italie pour l’ostéoporose, les grains de beauté et les pathologies cardiovasculaires ; et bien évidemment de cabines de télémédecine et de sites internet pour favoriser la vente en ligne et répondre aux stratégies multi-canal des enseignes de GMS », explique la présidente de Giphar Laëtitia Hible.
Développer les services
Dans le cadre de la reconnaissance du pharmacien à la fois comme professionnel de santé de premier recours et comme un acteur central dans le parcours de soins, en particulier pour suivre les patients chroniques « le salut devrait essentiellement venir des services proposés, tels que les entretiens de suivi, par exemple pour les personnes polymédiqués, comme en Allemagne et aux Pays-Bas, les actions de prévention centrées sur les pathologies chroniques, le suivi de médication et d’observance, le renouvellement de prescriptions, l’adaptation de posologie en coordination avec le médecin traitant, le suivi d’observance, la vaccination contre la grippe, le pneumocoque ou le HPV comme au Portugal, la participation à des programmes d’ETP validés, le click & collect d’ordonnances ou encore la mise à disposition d’objets connectés et notamment d’appli mobiles santé… », ajoute le président du groupe Pharmacie Référence, Lucien Bennattan.
Autant de services qui se retrouvent dans nombre de pays européens et qui vont nécessiter de renforcer les coopérations interprofessionnelles, à l’instar de ce qui existe en Grande-Bretagne. « Depuis le milieu des années 2000, à côté des services essentiels qui composent le cœur de métier commun à l’ensemble du réseau officinal avec la dispensation de médicaments, le renouvellement de prescription, la promotion de la santé, la récupération des médicaments non utilisés…, les officinaux britanniques se sont ainsi vus confiés des services avancés, explique encore Hélène Charrondière.
Baptisés « medicines use review », ceux-ci nécessitent que le pharmacien et les locaux de l’officine soient accrédités et sont principalement axés sur le suivi des patients souffrant notamment de pathologies chroniques. Dans ce cas, un rapport de suivi est établi par le pharmacien et est communiqué au médecin et au patient. Certains services spécialisés, tels que le maintien à domicile, le sevrage tabagique, le suivi de patients sous méthadone, la livraison à domicile… sont répertoriés sur une nomenclature nationale et sont financés en fonction des priorités de santé locales. Déployés selon les priorités de santé publique, ils requièrent des qualifications spécifiques.
Triple justification
Cette évolution de l’exercice officinal vers les services pharmaceutiques se justifierait d’un triple point de vue. Elle répondrait d’abord à la volonté d’améliorer l’efficience des soins ambulatoires à la fois en améliorant la coordination ville-hôpital et en renforçant l’observance aux traitements par un suivi régulier de proximité et des transferts de compétences.
Elle contribuerait ensuite à maintenir l’offre de soins dans les zones sous-médicalisées par le développement des dispositifs de télémédecine en ambulatoire, intégrant la pharmacie d’officine comme lieu possible d’installation de ces dispositifs comme en Suisse, en Allemagne et au Royaume-Uni.
Elle permettrait enfin de trouver des contreparties à la dérégulation de l’exercice officinal en diversifiant les sources de revenus par le biais de rémunérations forfaitisées et de fidélisation de la clientèle dans le cadre de suivi des patients comme au Portugal ou en Italie.
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