Le Quotidien du Pharmacien.- Pourquoi dîtes-vous que la pharmacie axée sur la délivrance du médicament est un modèle qui a fait son temps ?
Xavier Pavie.- Je voudrais d'abord préciser que je ne suis pas un spécialiste de la pharmacie, mais des services. Ce que j'observe, lorsque je me penche sur le monde officinal, c'est que la valeur ajoutée n'est pas l'activité principale du pharmacien. Partant de ce constat, comprenez bien que tout ce que je dis vise à défendre le pharmacien. Je suis en effet convaincu qu'il dispose d'une valeur ajoutée dont il ne profite pas assez. Aujourd'hui, il faut bien reconnaître que le métier de pharmacien, c'est de la délivrance de boîtes, pas de la délivrance de santé. La concurrence des pharmaciens, c'est désormais la GMS, les entreprises comme Amazon, et même certains pharmaciens discounteurs. Ces acteurs ont bien compris que leur valeur ajoutée n'était pas tant sur le conseil et le service, mais sur la délivrance de boîtes. Et ils sont bien les mieux placés pour s'acquitter de cette mission. Les pharmaciens doivent comprendre eux, qu'ils détiennent potentiellement et indéniablement la valeur ajoutée qui fera la différence avec cette concurrence. Celle-ci est selon moi portée par trois axes : la proximité, l'expérience et la crédibilité. Des qualités que ne partagent pas la GMS ou les grands acteurs de la vente en ligne. Lorsqu'on sait que 80 % des gens choisissent leur pharmacie parce qu'elle est proche de leur domicile ou de leur lieu de travail - ce qui n'est pas le cas pour leur boulanger ou leur poissonnier -, on réalise que c'est bien dans la valeur ajoutée à la délivrance que le pharmacien fera la différence pour faire en sorte de ne pas être choisi par hasard. Ce que je défends, c'est que le client doit choisir sa pharmacie parce qu'elle lui apporte une valeur ajoutée nette.
Pensez-vous sérieusement que le métier de pharmacien se résume à la distribution de boîtes ?
Malheureusement oui. C'est une réalité statistique. Entrez demander dans n'importe quelle pharmacie une boîte de paracétamol et il y aura une chance sur 100 qu'on vous demande ce que vous avez et qu'on vous rappelle les posologies usuelles. C'est bien cela que je regrette. Lorsque je parle de valeur ajoutée, c'est l'intervention du pharmacien en tant qu'individu que je défends.
Le développement de la santé connectée, des entretiens personnalisés voire de certains actes médicaux en pharmacie peuvent-ils servir l'avenir des pharmaciens tout en assurant la survie du modèle économique de l'officine ?
Il y a plusieurs aspects dans votre question. Le premier est que la pharmacie représente un modèle économique désormais déficitaire. Concernant l'apport des nouvelles technologies, je pense qu'elles pourraient par exemple permettre d'orienter le patient vers l'officine qui détient son médicament à coup sûr en stock. Or cette question du stock est pour l'heure traitée par le biais des livraisons biquotidiennes des pharmacies. Un choix extrêmement coûteux eu égard à la réalité des besoins véritablement urgents en médicament. Ce que je veux dire, c'est que la question du réseau - connecté -, doit être repensée dans sa globalité au travers des nouvelles technologies. Autrement dit il faut se reposer la question : comment donner un égal accès au médicament quelle que soit la densité du territoire desservi ?
Le second aspect de votre question est : quel type de service dois-je apporter à mes clients ? Parlons par exemple de la livraison à domicile. S'il s'agit juste de livrer des boîtes, cela n'a pas d'intérêt. Il faut apporter cette valeur ajoutée que j'évoquais tout à l'heure. Il faut que cette visite, assurée par un membre de l'équipe officinale, soit l'occasion de vérifier l'environnement du malade, de délivrer des conseils de prise de médicament, de vérifier que tout fonctionne au domicile du patient, puis d'envoyer aux enfants ou petits-enfants des SMS pour les rassurer sur l'état de leur parent. Je suis convaincu que les gens sont prêts à mettre 5 ou 10 euros par semaine pour recevoir ce type de service. Voilà ce que j'appelle une valeur ajoutée au métier de pharmacien. Quant aux entretiens pharmaceutiques, il faut savoir de quoi on parle. Par exemple, s'il s'agit d'entretiens visant à l'arrêt du tabac, je voudrais que le pharmacien assure un suivi actif lorsque le patient a quitté son comptoir. Autrement dit, qu'il appelle chez lui le candidat au sevrage vers 14 heures lorsque l'envie de la cigarette d'après déjeuner survient… Celui qui a arrêté de fumer grâce à ce pharmacien, le dira à ses amis qui viendront eux aussi chercher autre chose que des patchs dans cette pharmacie et pas dans une autre. Ce que je veux dire avec cet exemple, c'est qu'il faut arrêter de voir la pharmacie comme un service universel qui peut répondre à toutes les demandes. Le pharmacien peut et doit développer certaines compétences, pas toutes, et c'est cette valeur ajoutée spécifique qu'il pourra facturer.
Selon vous, combien de temps faudra-t-il pour que le pharmacien rémunéré sur le médicament devienne le pharmacien payé au service ?
Je pense qu'il faut qu'on continue à fermer des pharmacies. Et lorsqu'on arrivera à 10 000 officines, on comprendra qu'on n'est pas sur la délivrance de la boîte mais sur le service. Je défends l'idée qu'on pourrait presque avoir demain, un supermarché qui fera de la boîte, et juste à côté, un pharmacien qui fera du service de santé de proximité. La pharmacie ne peut plus faire les deux. Ce système a vécu, il ne peut plus marcher. Aujourd'hui de nombreuses officines ont compris qu'il fallait négocier ce virage du service. Et peut-être qu'un jour elles ne feront plus que du service et auront laissé la délivrance des médicaments à un opérateur tel Amazon. Au passage, ces intervenants savent déjà très bien garantir ce type de service avec sécurité et fiabilité.
Il faudrait donc, selon vous, qu'un certain modèle de pharmacie meure pour donner naissance à un autre ?
Absolument, c'est ce que l'économiste Joseph Schumpeter appelle la destruction créatrice. Quant à savoir si la pharmacie sera capable de se détruire elle-même pour se recréer, ma réponse est « oui, mais ce sera plus difficile ». Les contre-exemples sont en effet nombreux : Uber est née d'une société extérieure au monde du taxi, de même AirBnb n'est pas une création de l'hôtellerie. Cela dit, la pharmacie a encore la chance d'être un secteur protégé. Voilà pourquoi je dis aux pharmaciens : profitez de cette protection pour vous réinventer vous-mêmes !
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