Suffira-t-il d'une saison pour que la vaccination à l'officine soit ancrée dans les habitudes ? Ce qui est sûr, c'est que les Français sont loin de bouder cette nouvelle option.
Après plus de 2 mois de campagne vaccinale, ils sont plus de 100 000 (au 17 novembre 2017) à avoir choisi le pharmacien comme vaccinateur. C'est le cas de Françoise, résidente en région Nouvelle-Aquitaine : « je l'ai appris en écoutant la radio ; munie de mon bon, je me suis rendue dans ma pharmacie habituelle. Le pharmacien m'a posé des questions, et il m'a fait l'injection. J'ai ensuite attendu 15 minutes, le temps de contrôler que je supportais bien le vaccin. J'ai apprécié cette attention particulière. Chez le médecin, c'est plus expédié ! », ironise la néo-aquitaine. La suite de l'histoire se passe au cabinet médical, quand son mari se rend chez le médecin pour recevoir son injection (il est sous anti-coagulant) : « quand il a su que je m'étais fait vacciner par le pharmacien, le médecin a répondu à mon mari qu'il fallait faire attention à ne pas faire n'importe quoi tout de même ! » Qu'importent les sous-entendus de son médecin, Françoise est prête à recommencer l'année prochaine. Elle voit aussi dans ce dispositif une source d'économie pour la Sécurité sociale, pour une qualité de soin équivalente : « Je préfère que ma vaccination coûte 6 euros à l'assurance-maladie que 25 euros ! »
Dans la région Auvergne-Rhône-Alpes, Martine ne cache pas non plus son enthousiasme : « si ça peut désencombrer les cabinets médicaux, alors c'est une bonne chose. Les médecins peuvent ainsi s'occuper des situations plus graves ». Vaccinée tous les ans depuis trois ans, Martine a pris rendez-vous chez son pharmacien : « je ne voulais pas faire venir l'infirmière pour ça. Tout s'est très bien passé et cerise sur le gâteau, je n'ai rien senti lors de l'injection ! »
La délicatesse des pharmaciens appréciée
Ne pas faire mal, c'était une appréhension de Julie, pharmacienne adjointe dans les Deux-Sèvres : « Des patients me disent que je fais moins mal que le médecin ; ça fait plaisir. » Pour Julie, la question de vacciner ne s'est pas posée ; elle voulait participer à l'expérimentation : « Je suis ravie ! Cela permet d'avoir un contact différent avec les patients. Ils n'ont aucune crainte, ils nous font entièrement confiance. Certains me demandent même si je suis infirmière en plus d'être pharmacienne. Je leur explique que j'ai reçu une formation spéciale. » Dans la pharmacie de Julie, on vient de dépasser les 100 vaccinations.
Près d'Angoulême, Isabelle Lebert-Suraud et son adjointe ont dépassé la barre des 50 vaccinés, sans aucune communication. « Je ne communique pas mais la presse locale a relayé le dispositif. Je ne pensais vraiment pas qu'on en ferait autant ! », explique la titulaire charentaise. Pour Benjamin, adjoint dans la Vienne, le but est que les patients se fassent vacciner, quel que soit le vaccinateur : « personne ne vaccine à la place de quelqu'un d'autre. L'essentiel est de favoriser la vaccination en toute sécurité. » Dans la pharmacie où il exerce, une affiche sur chaque comptoir informe les patients que la pharmacie participe à l'expérimentation ; un créneau, entre 14 et 16 heures, est dédié à la vaccination. « Mais on ne refuse pas de vacciner en dehors de ce créneau, s'il y a une demande », précise Benjamin. Il met à profit ce moment en tête à tête pour évoquer l'importance des autres vaccinations : « même pour les personnes qu'on ne peut pas vacciner, cela permet d'engager le dialogue sur ce sujet. »
Il y a ceux qui foncent, ceux qui hésitent et ceux qui refusent
Pour Benjamin, « ne pas accepter une mission des autorités de santé reviendrait à s'effacer du parcours de soins ». Conquis par son enthousiasme et ses arguments, ses confrères et amis qui ont émis des réserves pour la saison en cours sont désormais prêts à s'engager. Mais tous les pharmaciens ne sont pas convaincus. C'est le cas de Mathilde, adjointe dans une pharmacie accolée à une maison de santé. « Notre position était claire dès le début : pas de vaccination à l'officine, mais une orientation vers les 2 infirmières ou les 4 médecins installés à l'étage. » Pour elle comme pour sa titulaire, « ce n'est pas le rôle du pharmacien de faire les injections. Je n'ai pas fait pharmacie pour piquer ». Consciente de l'enjeu de santé publique, elle aurait préféré que les autorités de santé privilégient la collaboration infirmier/pharmacien sous la forme d'une présence infirmière à l'officine sur des créneaux définis : « cela aurait renforcé la coopération entre nous, sans créer de tensions interprofessionnelles. »
L'impression d'être surveillé par les médecins et les infirmiers
Si certains médecins envoient volontiers leurs patients à la pharmacie pour se délester de cette tâche annuelle, d'autres n'acceptent décidément pas cette nouvelle option. « C'est au médecin de collecter les données de santé, d'être le référent des patients. J'aurais préféré qu'on accorde davantage de responsabilité aux infirmiers, avec qui je me sens plus en équipe. Pour moi, le pharmacien n'est pas un soignant », estime un médecin généraliste de Nouvelle Aquitaine. Face aux réticences, Isabelle Lebert-Suraud aurait volontiers ouvert sa pharmacie aux médecins et infirmières pour les rassurer : « Un médecin a tenté de dissuader une de nos patientes, lui disant que la pharmacie n'était pas équipée en cas de malaise. Elle a maintenu son choix malgré tout. » Le malaise vagal est un des principaux arguments des détracteurs. Les pharmaciens connaissent ce risque et ont appris à le gérer lors de leur formation spécifique. Pour Benjamin néanmoins, cela reste une menace pour l'expérimentation : « au premier problème, le dispositif sera certainement dénoncé et cela risque de remettre en question l'expérimentation. »
Unanimes pour l'élargissement de la cible
Pourtant, la tendance serait plus à un élargissement géographique en intégrant de nouvelles régions, comme l'a évoqué Agnès Buzyn lors de la Journée de l'Ordre. Mais pour Carine Wolf-Thal, c'est surtout une extension de la cible qui serait le plus opportune. Ses revendications rejoignent celles des pharmaciens expérimentateurs. Si les restrictions d'ordre médical (anticoagulant) sont parfaitement admises, ces derniers aimeraient pouvoir vacciner les primo-vaccinants adultes. « Je ne suis pas certaine que notre intervention change quelque chose sur la couverture vaccinale. Les personnes que l'on vaccine ont l'habitude de le faire. Ce qui est dommage, c'est de ne pas pouvoir répondre favorablement aux demandes des autres, les actifs notamment. En leur répondant négativement, on sait qu'ils ne feront pas la démarche d'aller voir leur médecin pour se faire vacciner », note Isabelle Lebert-Suraud. Pour Benjamin, cette restriction est « une occasion manquée de capter une nouvelle population et d'augmenter effectivement le taux de vaccination ». Il aimerait d'ailleurs que la déclaration électronique à l'Ordre ne concerne pas uniquement les personnes effectivement vaccinées, mais inclue toutes les demandes, même celles qui ne peuvent aboutir : « l'analyse de ces données pourrait démontrer l'intérêt d'étendre le périmètre. »
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