Le pharmacien est-il le bon élève de la santé connectée ? C’est sur cette question plutôt optimiste que s’est ouverte la convention Reinvent Pharma co-organisée par l’Oréal Cosmétique Active et Numa, un « incubateur » de start-up, consacrée à la pharmacie à l’heure du consommateur ultra-connecté.
Pour Olivier Macé, directeur du développement distribution de la division cosmétique pour les circuits de santé de l’Oréal, le secteur de la pharmacie est envié par beaucoup d’autres. Le digital a rendu le consommateur « plus expert, plus suspicieux, et donc plus difficile à convaincre et à fidéliser ».
« Mais dans ce contexte, la pharmacie s’en sort bien, la qualité de conseil est reconnue et sa transformation digitale est en cours, même si elle se fait plus progressive que dans d’autres secteurs », ajoute-t-il. L’Oréal Cosmétique Active a souhaité montrer par l’exemple la façon dont les pharmaciens appréhendent ces changements grâce à des pionniers de la transformation digitale.
Les légalistes et les audacieux
Deux pharmaciens lillois ont ainsi raconté leur expérience. Le premier, Julien Hautin, de la Grande Pharmacie des Halles, a illustré ce qui s’est beaucoup dit durant cette journée : les objets connectés de santé ne marchent que s’ils s’inscrivent dans une démarche d’accompagnement et de services. « Il faut placer le patient au cœur de son soin », affirme ainsi Julien Hautin, qui a choisi de travailler avec la société Caracal dans une démarche de packaging, regroupant objets connectés de santé liés à la tension, et des conseils, sous forme d’entretien(s) de 15 minutes. Pour Julien Hautin, la rentabilité de cette offre est au rendez-vous, son délai d’amortissement étant plus rapide que d’autres offres, y compris celle de la vente de tensiomètres d’entrée de gamme.
Lancée depuis l’été dernier, elle rencontre son public si l’on en croit ce confrère, qui insiste par ailleurs sur différentes façons de séduire le patient dans sa démarche. Julien Hautin évoque notamment la notion de « gamification » un néologisme pour désigner l’usage de codes de jeux électroniques dans des applications qui n’ont rien à voir avec ces jeux. Le patient acquiert ainsi des points qui peuvent donner accès à des services comme des massages ou du yoga. Cette démarche a suscité des commentaires assez vifs, sur la question de savoir si de tels usages sont légaux. Elle a également, comme pour d’autres sujets évoqués durant cette convention, montré une véritable ligne de fracture entre ceux qu’on pourrait nommer les « légalistes », qui souhaitent respecter au mieux les contraintes légales encadrant le métier de pharmacien, et les plus audacieux, qui se soucient d’abord de créer une dynamique autour de leurs solutions digitales, sachant que parfois on est à la limite de la légalité ou dans des zones où le droit est encore flou.
Valeurs et engagements de l’officine
Le second témoignage de pharmacien, celui de Fabien Florack, de la Grande Pharmacie de Paris, toujours à Lille, est centré sur l’usage des réseaux sociaux. « Notre officine se trouve en plein centre-ville, en face de la gare de Lille Flandres, où il est difficile de créer du lien, nos clients passent rapidement, et la perception qu’ils en ont est un peu impersonnelle, distante », explique-t-il. Ce confrère a voulu faire passer un message sur les valeurs et les engagements de l’officine et utilise pour cela Facebook, et depuis peu Instagram, pour partager l’intimité de l’équipe et nourrir la curiosité des « followers », mais aussi et surtout intervenir lors d’opérations ponctuelles en collaboration avec des enseignes et des blogs. Son officine a conclu un partenariat avec l’Institut supérieur de communication et de publicité (ISCOM), afin de disposer régulièrement de l’aide d’un étudiant pour travailler sur ces réseaux sociaux, très chronophages. Une réponse sans doute à une interrogation émise durant cette journée de convention sur l’opportunité de s’intéresser aux réseaux sociaux. « C’est une activité très chronophage, en effet, et dont le modèle économique n’est pas forcément pertinent », estime ainsi Hélène Decourteix, consultante indépendante, pour qui les réseaux sociaux, toute comme l’ont été la vente en ligne et celle des objets connectés de santé, relèvent plutôt du mythe. Elle estime que le véritable enjeu du digital pour les pharmaciens est lié à la gestion des données, des « data » comme aiment dire les professionnels de la digitalisation. C’est la bonne exploitation de ces données qui permettra aux pharmaciens de déterminer les services les plus adaptés à leur patientèle et clientèle et de personnaliser ainsi une offre digitale.
Néanmoins, et malgré l’intérêt croissant nourri par les pharmaciens pour la digitalisation de leur métier, des obstacles importants demeurent, notamment la grande difficulté qu’il y a à impliquer les équipes officinales, un problème qui a été souvent pointé du doigt. Et cela par des pharmaciens qui ont justement tenté à un titre ou à un autre de lancer des offres digitales, ou une évolution de leur travail par le biais du numérique. La force de l’habitude est telle qu’il est très difficile de changer et évoluer vers d’autres façons de travailler, expliquent-ils en substance. Un enjeu pourtant souvent pris en compte par les prestataires, mais pour qui il va falloir réfléchir encore pour améliorer ce que l’on peut appeler sans hésiter des processus de conduite du changement.
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