« Si nous pharmaciens, nous ne rentrons pas dans l’accompagnement du patient, il ne restera pas grand-chose de notre activité. » Andrée Ivaldi, présidente de la Chambre syndicale des pharmaciens de Paris, a adopté un ton volontairement alarmiste pour ouvrir un débat organisé la semaine dernière à son initiative sur le thème de l’e-pharmacie face aux géants du Web. Prenant acte des différents mouvements qui s’opèrent dans le champ de la santé, par exemple les partenariats qui se nouent entre ces géants et les grands laboratoires pharmaceutiques, à l’image de celui engagé par Google et Novartis, les participants à ce débat ont souhaité apporter des réponses concrètes à ce qui menace les pharmaciens de manière désormais tangible. C’est une affaire de mois et non plus d’années disent-ils en substance. Face à la révolution numérique de la santé qui introduit de nouvelles approches de la part des patients, il devient urgent de « retenir » ces derniers autrement que par le biais de la distribution de médicaments, un monopole qui, de fait, a vécu, selon Lucien Bennatan, président du groupe PHR. La solution : utiliser le maillage exceptionnel des officines sur tout le territoire et leur légitimité de professionnel de santé pour jouer la carte de la proximité et de l’optimisation du parcours de soins dans cette révolution numérique.
Clients mieux informés
Pour Alexandre Georgeault, président de Fil Rouge, une société spécialisée dans le merchandising, la pharmacie va connaître ce que d’autres secteurs ont vécu, une maturation initiée par le numérique, comme la parfumerie, par exemple, qui a subi une réduction sensible du nombre d’indépendants et une grande concentration aux mains de quelques gros acteurs au positionnement bien identifié. « Cela a déjà commencé dans la pharmacie avec l’apparition de réseaux qui ont adopté un positionnement très clair », explique-t-il. Affirmer son positionnement, ce n’est pas seulement vis-à-vis de la concurrence, mais c’est surtout face à ses patients et clients, y compris sur Internet. Ces derniers sont beaucoup mieux informés et deviennent très exigeants, au point de rendre la demande très complexe. « Ils veulent être plus libres, oui, mais aussi mieux accompagnés, autonomes tout en demandant à ne pas être abandonnés », précise Lucien Bennatan.
Dans ce contexte, la réflexion numérique doit tourner autour de la question de savoir quel pharmacien on souhaite être, quel service apporter, un positionnement qui permet de rendre plus facile la question du comment digitaliser. Car, bien sûr, il n’est pas possible de tout digitaliser dans l’officine, ni d’être opérationnel tout de suite. Mais il est important d’avoir une feuille de route. Alexandre Georgeault en appelle volontiers à l’aide des laboratoires pharmaceutiques, « qui peuvent financer différents équipements », souligne-t-il. Et de citer en exemple le meuble Klorane, équipé d’un écran digital à partir duquel il est possible d’établir un diagnostic capillaire.
Jouer sur ses propres forces
Lucien Bennatan, lui, est partisan de l’indépendance vis-à-vis des industriels. Face à la puissance technologique, financière et logistique des géants du Web, les officines doivent jouer sur leurs propres forces, leur capacité de fidéliser les clients et les patients. « Internet recrute, les pharmacies fidélisent », souligne-t-il. Pour lui, la digitalisation de l’officine, c’est avant tout digitaliser les services susceptibles d’être proposés. Le champ est large, jusqu’au domicile du patient, « où nous sommes attendus », insiste-t-il. Il préconise de développer ces nouveaux services dans une stratégie commerciale identifiée, avec l’analyse du comportement des patients. PHR est passé de la théorie à la pratique puisque cinq officines du réseau se sont « digitalisées » sur le modèle proposé par le groupement, et une cinquantaine le sera d’ici à septembre prochain. L’expérience a déjà donné des résultats, avec un premier constat, « tout le monde change de comportement, les clients, les patients et les équipes officinales », souligne Lucien Bennatan. Et aussi un impact sur les ventes, avec une croissance moyenne de 16 % du chiffre d’affaires en quelques semaines. Un résultat qui peut consoler des tergiversations entourant toujours le sujet de la rémunération des pharmaciens dans le domaine des services.
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