LA PHARMACIE française a des allures d’irréductibles Gaulois au sein de l’Europe. En effet, elle fait figure d’exception avec sa loi de répartition démogéographique, sa réserve du capital aux pharmaciens et son monopole de dispensation. Certes, ces trois piliers se justifient tous par des raisons de santé publique et ne sont pas rares au sein de l’Union européenne. Mais « la France est la seule à cumuler les trois », rappelle l’économiste de la santé Claude Le Pen, tout en faisant remarquer qu’il n’a rien contre ce principe. Et autour de l’Hexagone, l’environnement bouge. Le nombre de pays dans lesquels les chaînes de pharmacies se développent augmente, tout comme le nombre de ceux autorisant la vente de médicaments en dehors des officines ou par correspondance. La France vient elle-même d’autoriser le commerce en ligne de spécialités pharmaceutiques. Mais elle reste l’un des derniers pays de l’Europe de l’Ouest, avec l’Espagne, la Belgique, le Luxembourg et la Finlande, à conserver un monopole de dispensation. Pour combien de temps ? La question trotte dans la tête de nombreux officinaux. Surtout depuis que le gouvernement a donné son feu vert à la vente en grande surface des tests de grossesse et d’ovulation. Claude Le Pen se veut rassurant : « Pour vendre des médicaments, on peut faire mieux que l’officine. Mais pour la dispensation, l’accompagnement et le conseil aux patients, on ne le peut pas. » D’autres semblent d’ores et déjà résignés. « Comme celui des taxis, le monopole officinal va être écorné d’ici à trois ou quatre ans, mais les pharmaciens ne feront pas d’opérations de blocage », indiquait récemment Lucien Bennatan, président du groupe PHR. Alexandre Aunis, directeur des opérations marketing et enseigne chez Népenthès en est également persuadé. « La menace est claire et il y aura à terme une décision politique », augure-t-il. Xavier Moinier, spécialiste du marketing officinal, partage cette analyse (« le Quotidien » du 13 mars). Pour lui, la disparition du monopole officinal « est inéluctable, même si le citoyen le regrette, accordant toujours à son pharmacien une grande importance dans le parcours de soins ». « Cela ne signifiera pas pour autant la fin des officines, mais une autre organisation de leurs activités, avec des regroupements et, pourquoi pas, la naissance de franchises ou autres formes commerciales », estime le maître de conférence à la faculté de Sciences économiques de Poitiers.
L’engagement des pouvoirs publics.
À l’inverse, Gilles Bonnefond ne croit pas à ce scénario. « Je n’ai pas d’inquiétude par rapport à ça, affirme le président de l’Union des syndicats de pharmaciens d’officine (USPO). Je ne sens pas aujourd’hui de changements de position ni des autorités de santé ni du ministère sur la question. Je n’ai pas le sentiment qu’il y a une volonté de changer de stratégie ni de banaliser le médicament. Bien au contraire. » Pas d’inquiétude non plus du côté de Philippe Gaertner, mais une vigilance permanente. « Le monopole de dispensation des médicaments n’est pas un monopole de fait, mais de compétence », insiste le président de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF), rappelant que dans les deux heures qui ont suivi la remise du rapport de l’Autorité de la concurrence en décembre dernier, la ministre de la Santé a balayé l’hypothèse d’une vente de médicaments hors des pharmacies. Ce qui, selon lui, signifie bien qu’elle bénéficiait de l’aval des plus hautes sphères de l’État. Marisol Touraine a d’ailleurs réitéré, récemment sur France Inter, son attachement au monopole de dispensation accordé aux officinaux. Un engagement qui ne pourra rien empêcher aux yeux de Michel-Edouard Leclerc. Le patron d’hypermarchés en est convaincu, l’ouverture du monopole « ne passera pas par un ministre de la Santé, mais par un ministre de l’Économie ».
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