LE GOUVERNEMENT souffle le chaud et le froid. D’un côté, la ministre de la Santé défend mordicus le monopole des pharmaciens. De l’autre, le ministre délégué à l’Économie sociale et solidaire, Benoît Hamon, l’égratigne en autorisant la vente des tests de grossesse et d’ovulation hors des officines. Car cette fois, c’est fait, ces tests pourront désormais être disponibles dans les rayons des hypermarchés, depuis l’adoption par le Parlement du projet de loi Consommation, la semaine dernière. Mais les ministres l’assurent, cette brèche dans le monopole n’est pas de nature à ouvrir la voie à une autorisation de la vente de spécialités pharmaceutiques dans les supermarchés. Marisol Touraine l’a encore une fois rappelé sur France Inter jeudi dernier. « En ce qui concerne le médicament, je suis attachée au conseil du pharmacien et à la sécurité absolue apportée à l’ensemble des Français », affirme-t-elle. Pour la ministre de la Santé, le maintien du monopole pour la vente des médicaments est aussi un moyen de préserver le maillage officinal et l’accès aux soins. « Aujourd’hui, vous avez des pharmacies partout sur le territoire, ce qui permet aux personnes qui habitent en dehors des centres-villes d’avoir accès à leurs traitements, à proximité de chez eux », explique-t-elle. Aussi, conclut la ministre, si l’on autorisait une vente hors de l’officine, il est probable que cela entraînerait des fermetures de pharmacies dans certains territoires. Et l’apparition de déserts pharmaceutiques par la même occasion.
Leclerc persiste.
Invité la veille sur la même radio, Michel-Edouard Leclerc affirme, lui, que le verrou va sauter. En tout cas, il milite pour ça. Et pour le patron des hypermarchés éponymes, Marisol Touraine ne pourra pas empêcher la fin du monopole des pharmaciens sur la vente des produits OTC. Car l’ouverture « ne passera pas par un ministre de la Santé, mais par un ministre de l’Économie, c’est évident », affirme-t-il. Pourquoi tant d’assurance ? Parce que, « en France, les avancées concurrentielles ne passent jamais par les ministres qui ont la tutelle d’une corporation », répond Michel-Edouard Leclerc. « Je suis la ministre des professionnels et des patients », rétorque Marisol Touraine, signifiant ainsi qu’elle n’est pas prête à sacrifier la santé de nos concitoyens pour faire plaisir à un quelconque lobby.
Oui, mais voilà, Michel-Edouard Leclerc, lui, en est persuadé : après les tests de grossesse, il pourra vendre des médicaments dans ses magasins. Mais pas tous, seulement ceux sans ordonnance et non remboursables. Et pas n’importe comment : ce sera « dans un espace dédié, sous le contrôle d’un pharmacien, qui a les mêmes obligations qu’un officinal », détaille-t-il. Il ajoute : « Je garantis que l’on ne mettra pas de médicaments entre les petits pois et les carottes. L’idée, c’est de les vendre moins chers, ce qui est largement possible, puisqu’aujourd’hui il y a des écarts d’un à trois entre les pharmacies. » « Un peu de concurrence, ce n’est pas remettre en cause la politique de santé, c’est simplement permettre au consommateur de ne pas être pénalisé », conclut-il.
Des pharmaciens pessimistes.
Toutefois, malgré l’assurance dont il fait preuve, la remise en cause du monopole de vente des médicaments ne semble pas encore à l’ordre du jour. Car si les pouvoirs publics en avaient eu l’intention, l’examen du projet de loi Consommation, dont l’un des objectifs est de redonner du pouvoir d’achat aux Français, aurait dû être l’occasion de revoir les règles de dispensation des médicaments. Michel-Edouard Leclerc, le premier, le croyait. En mai dernier, il annonçait ainsi qu’il entendait peser sur les débats entourant ce projet de loi et proposer des idées pour faire baisser les prix (« le Quotidien » du 21 mai 2013). Il déclarait, sûr de son fait : « Cela fait des années que je dis que je veux vendre des médicaments. Mais là, présentement, je dis « je vais » ».
Fasse à ces assauts répétés, les officinaux commencent à penser que la grande distribution finira par obtenir gain de cause. En particulier, du côté des groupements de pharmaciens. « Comme celui des taxis, le monopole officinal va être écorné d’ici à trois ou quatre ans, mais les pharmaciens ne feront pas d’opérations de blocage », lance ainsi Lucien Bennatan, président du groupe PHR, dans le cadre d’un débat des 7e « Rencontres de l’Officine », le 10 février. « La menace est claire et il y aura à terme une décision politique », estime également Alexandre Aunis, directeur des opérations marketing et enseigne chez Népenthès.
Quoi qu’il en soit, tout le monde devrait être fixé rapidement sur l’avenir du monopole officinal en France. Un rapport sur la distribution pharmaceutique, réalisé par l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) à la demande de Marisol Touraine, doit être remis à la ministre de la Santé à la fin du mois de mars.
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