Les groupements seraient les acteurs incontournables pour réussir la mutation de l’officine. Car ils proposent « au moins trois catégories de services : achat, référencement et services ; et éventuellement deux de plus avec l’enseigne et la marque propre », explique Christian Grenier, président de FEDERGY, la chambre syndicale des groupements et enseignes de pharmacies. Autrement dit « un groupement s’occupe de l’ensemble de l’activité d’une pharmacie. La pharmacie c’est l’offre globale de santé, le groupement c’est l’offre globale de la pharmacie ».
FEDERGY porte une attention particulière aux chiffres du marché. Et s’affole de voir que sur 22 200 officines, seulement 3 000 gagnent leur vie. Face aux baisses de prix imposées, il est nécessaire que le pharmacien réoriente son business model pour atténuer sa dépendance au médicament remboursé. « Si rien ne bouge, en 2020, l’officine aura perdu 1 milliard d’euros de marge », affirme Christian Grenier. Pour FEDERGY, une pharmacie ne peut rester seule et doit adhérer à un groupement pour accéder à des outils communs et mutualisés afin de développer tout type de services : « il n’y a pas de pharmacie de demain sans groupement ».
Conditions d'achat
Le groupement intervient à la fois sur les activités de professionnel de santé du pharmacien, mais également sur son activité de commerce. Des leviers de croissance existent sous les deux casquettes du titulaire, mais pour Christian Grenier, c’est grâce à sa casquette de commerçant que l’officine sera à l’équilibre en 2020. « Ce sera du 50/50 ! » Actuellement, la marge de l’officine est de 9,35 milliards d’euros, dont 5,25 milliards reposent sur les médicaments vignettés ; restent donc 4,1 milliards d’euros issus des autres produits vendus en pharmacie… qui doivent être davantage développés. « On voit bien que la partie non réglementée devient tout doucement le deuxième pilier d’équilibre économique de la pharmacie d’officine », remarque Christian Grenier. Comme le montre l’enquête Call Medi Call pour « Le Quotidien du Pharmacien », l’automédication et la parapharmacie vont bien devenir des leviers de croissance essentiels. « Il ne faut perdre aucun segment, que ce soit le développement du selfcare ou des MDD. Mais il faut que la pharmacie ait les outils pour le faire. »
Ainsi, afin d’accompagner les pharmaciens au mieux, les groupements réclament de meilleures conditions d’achat. Les différentes structures mises en place (CAP, SRA, courtiers) ne fonctionnent pas et la rétrocession continue à être privilégiée par les officinaux. « Nous voulons être soutenus par les syndicats de pharmaciens pour que nous accédions à des conditions d’achat normales, et pour que le pharmacien arrête de consacrer 50 % de son temps aux achats, donc à faire autre chose que son métier de professionnel de santé et de commerçant. »
Communiquer
Un peu mise de côté dans les réponses des pharmaciens interrogées par Call Medi Call, la vente sur Internet est considérée par FEDERGY comme un important levier de croissance car « c’est un outil qui maintient le réseau ». « Imaginez, je suis un pharmacien de province avec un chiffre d’affaires de 800 000 euros. Avec Internet, j’ai 350 000 produits à disposition, je peux faire du MAD parce que j’ai un catalogue énorme… » Nombreux sont les produits de parapharmacie à être présents à la fois en officine et en GMS. Et selon les relevés de prix du top 100 des produits de parapharmacie, ils sont moins chers de 0,50 à 2 euros en GMS. Cette concurrence est accrue avec les sites Internet de la GMS. « Nous sommes face à des réseaux de distribution pour lesquels la parapharmacie ne représente que 2 à 3 % maximum de leur chiffre d’affaires. Ils peuvent se permettre de vendre à prix coûtant pendant des dizaines d’années pour récupérer tout le marché », précise Laurent Filoche, président de l’Union des groupements de pharmaciens d’officine (UDGPO). Et les augmentations annuelles pratiquées par les laboratoires ne peuvent plus être absorbées par la pharmacie pour conserver un prix attractif. Ce qui justifie d’autant plus l’investissement de nombreux groupements dans leur marque propre, ou MDD, dont les revenus ne dépendent d’aucun PLFSS, d'aucune lettre de cadrage au CEPS ni d'aucune convention pharmaceutique.
Au-delà des diverses implications dans de nouvelles missions et services innovants, ce qui manque encore au pharmacien, c’est le droit de communiquer. C’est en passe de changer grâce au toilettage du code de déontologie, adopté le 6 septembre dernier par le Conseil national de l’Ordre des pharmaciens (CNOP). Les 47 articles doivent être soumis à la ministre de la Santé, après consultation du Conseil d’État, pour une publication par décret qui modifiera en conséquence le code de la santé publique. « Nous avons travaillé en harmonie avec FEDERGY pour faire reconnaître, au niveau de l’Ordre, la nécessité du toilettage du code de déontologie qui datait de 1953. À cette époque, Internet n’existait pas, les smartphones non plus, et une bonne partie des comportements patients étaient très différents de ceux d’aujourd’hui. Si on ne veut pas que la pharmacie soit naphtalisée, si on veut vivre avec notre temps et si on veut aussi pouvoir être compétitif vis-à-vis des autres secteurs de distribution spécialisée qui viennent sur nos plates-bandes et nous concurrencent de plein fouet, il faut avoir les mêmes armes qu’eux et pouvoir communiquer », lance Laurent Filoche. Un toilettage qu’il juge néanmoins insuffisant. « Il ne fait qu’acter ce que les groupements faisaient déjà depuis fort longtemps : les promotions, les enseignes, les cartes de fidélité. Cela ne nous arme pas pour le futur, notamment sur l’usage des réseaux sociaux. »
Incertitudes
D’autres segments de marché échappent au pharmacien, comme les médicaments vétérinaires, qui présentent un chiffre d’affaires annuel de 1,2 milliard d’euros équitablement répartis entre les animaux de rente et les animaux de compagnie, dont seulement 6,7 % reviennent aux officines. Selon l’UDGPO, il existe bien d’autres segments à développer. « Alors qu’il y a une grande campagne de communication, orchestrée par l’Ordre et relayée par les groupements, sur le sevrage tabagique, comment se fait-il que la cigarette électronique, reconnue dans beaucoup de pays comme un moyen de sevrage tabagique, ne peut pas être vendue dans une pharmacie ? Les groupements sont les mieux habilités à penser et tester dans leur réseau de nouveaux services, avant de les généraliser et de leur donner un prix cohérent, qui soit ensuite pris en charge par les mutuelles ou l’assurance-maladie. Et il faut pouvoir communiquer sur cette offre de service. S’il manque un maillon dans cette chaîne, l’édifice s’écroule. »
Aux yeux de Christian Grenier, les leviers de croissance existent mais il manque un certain nombre d’outils pour les actionner. S’ajoutent à ce manque les incertitudes de FEDERGY concernant l’après élection présidentielle, en particulier sur le capital et le monopole de l’officine. « La répartition ne devrait pas être menacée parce que le pharmacien est un acteur de proximité dont on aura d’autant plus besoin pour faire face aux déserts médicaux, parce qu’il aura la prescription pharmaceutique – et j’insiste très fortement sur le vocabulaire – parce qu’il aura la vaccination, etc. » Des incertitudes qui incitent FEDERGY à être aux côtés des trois syndicats de pharmaciens pour défendre un projet global pour la pharmacie de 2020. « On a une autoroute fabuleuse devant nous pour la pharmacie d’officine, mais il y a un péage où les syndicats discutent du prix, de la vitesse à laquelle on va rouler. On a quelqu’un qui sait conduire une voiture, le pharmacien, et la voiture c’est le groupement. Sans la voiture, vous pourrez payer le péage, connaître la limitation de vitesse, ce n’est pas ça qui permettra au pharmacien de prendre l’autoroute. L’avenir de la pharmacie se construit avec les groupements. »
* Federgy, la chambre syndicale des groupements et enseignes de pharmacie ; UDGPO, l'Union des groupements de pharmaciens d'officine.
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